Apprendre les mots avec les Cowboys Fringants

Photo: Godefroy Mosry, Montage: Marin Blanc Melissa Maya Falkenberg

C’est un soir de semaine qui ressemble à beaucoup d’autres : il faut que je fasse le souper et il faut qu’ils fassent leurs affaires.

En d’autres mots, la grande soeur s’installe pour ses devoirs et le plus jeune décante de sa journée de maternelle en regardant Ninjago. Manifestement, mon fils a une dépendance à cette émission et, à cette heure, il a droit à une microdose.

Pendant ce temps, dans la cuisine :

— Maman, tu te souviens quand tu m’as expliqué ce que c’était, l’hypersensibilité ?

— Oui, bien sûr !

— Bin, quand on écoutait la chanson en classe aujourd’hui, Romy, elle, elle pleurait.

— Je comprends… Moi aussi je pleure en écoutant certaines chansons.

— C’est là que j’ai compris que c’est mon amie la plus hypersensible.

(D’ailleurs, est-ce que ça vous dérangerait que je mette la chanson de notre Ortographe-o-ton ?)

Ce soir-là, L’Amérique pleure, on l’a écoutée près de dix fois de suite en famille. Sans télé allumée. Le bonheur. Avec sur la table, le téléphone qui fait jouer le vidéoclip, les paroles, et puis la liste des mots de la semaine à apprendre, tirés de la chanson composée par Jean-François Pauzé…

Rétroviseur

Souffrance

Excès

Arrière-pays

Insouciance

Paysage

Hypocrisie…

Les mots étaient bien acquis, mais nos coeurs bien déverrouillés avaient encore envie d’entendre.

C’est alors qu’on a parlé de Papi qui est camionneur. Des gens tristes qu’on ne connaît pas. De liberté. De l’intensité avec laquelle on veut vivre sa vie, ou pas.

On a regardé le vidéoclip de La fin du show. Sur l’ordinateur, pour que les images soient en plus grand. Collés et sans dire un mot ; les plus importants étaient dans la chanson, et parfois même écrits sur l’écran.

On a parlé des concerts qu’on a vus. De mes souvenirs à la fois si clairs et si lointains de spectacles des Cowboys Fringants, avec tout le monde qui connaît les chansons par coeur, même il y a vingt ans. De la beauté des expressions québécoises chantées aussi par des Français, des Belges, des francophones de l’autre bord de l’océan.

On a bouclé — avant de revenir aux devoirs — avec la vidéo de Karl qui, l’automne dernier, met tous les efforts et le coeur pour l’enregistrement de sa track sur La fin du show en studio. Pas de scène, pas de public, il est entouré de ses amis, et on n’entend que sa voix à lui, faisant vivre les mots de Jean-François, sans entendre les instruments qui constitueront aussi la chanson. Une manière indirecte de montrer aux enfants l’essence et le pouvoir des mots, même si les instruments contribuent également à l’évacuation de nos pleurs (de joie, de soulagement).

***

De retour à la chanson de l’Ortographe-o-ton !

— Et là, les amours, j’espère que vous reconnaissez l’instrument !

— Franchement, maman. Harmonica. Tu nous as fait assez jouer de Bob Dylan !

(Rires.)

— OK OK… J’ai une meilleure question. Tu disais que L’Amérique pleure t’a fait découvrir quelque chose sur ton amie Romy. Est-ce que ça t’a appris quelque chose sur toi ?

— Hum. Oui. Que je n’ai pas assez de chansons québécoises sur mes listes d’écoute. Que j’aime ça autant, au fond. Il faut juste que je les entende.

***

Samedi matin dans la ruelle.

Je pensais que la semaine chargée de mots à apprendre, d’émotions et de nouveautés musicales qui remuent plus que d’autres était terminée.

Tous les ans, le premier week-end de mai, tous les voisins de notre ruelle dans Rosemont mettent la main à la pâte pour faire le grand nettoyage de notre espace commun : balayer les petites roches qui risquent de pogner dans les roues de rollerblade, ramasser des restes d’automne bruns abandonnés, passer le râteau sur les petits espaces de terre qui fleuriront.

Les parents boivent du café, les préados surveillent les enfants, les enfants courent en pyjama et s’inventent des trésors.

Mon petit ninja vient me voir une seule fois pendant la corvée :

« Maman, maman ! C’est le mois de mai ! Et c’est comme dans la chanson de Félix Leclerc, que madame Julie nous fait chanter ! »

Mon voisin Philippe se met à fredonner L’hymne au printemps en sortant le menton par-dessus sa clôture. Nos fils qui sont ensemble à la maternelle se dégênent et chantent avec lui.

« Les bourgeons sortent de la mort / Papillons ont des manteaux d’or / Près du ruisseau sont alignées les fées / Et les crapauds chantent la liberté. »

*Je dédie cette chronique aux professeures de mes enfants, madame Isabelle (6e année), ainsi que madame Julie (maternelle). Merci de faire jouer des chansons québécoises dans vos classes. Et pour tout le reste, bien sûr.

À voir en vidéo