Des spectacles accessibles à la communauté sourde et malentendante

Les spectateurs sourds et malentendants peuvent percevoir tous les sons du spectacle «Je ne vais pas inonder la mer» en tenant l’oreiller sur leur corps et en le sentant vibrer.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les spectateurs sourds et malentendants peuvent percevoir tous les sons du spectacle «Je ne vais pas inonder la mer» en tenant l’oreiller sur leur corps et en le sentant vibrer.

Le MAI (Montréal, arts interculturels) a présenté pour la première fois la semaine dernière un spectacle qui utilise des oreillers vibrotactiles. Ces oreillers rendent les performances accessibles à la communauté sourde et malentendante en transformant les sons en vibration.

Avec Je ne vais pas inonder la mer, présenté au MAI du 15 au 18 mai, la danseuse et chorégraphe mexicaine Sonia Bustos nous emporte dans un spectacle de danse multidisciplinaire où nos cinq sens sont sollicités pour raconter l’histoire de son deuil lié aux décès de sa mère et de sa grand-mère. Il était donc tout naturel qu’une proposition artistique de la sorte fasse usage d’oreillers vibrotactiles, une première au MAI. Ils ont été développés par l’artiste médiatique David Bobier dans une optique d’inclusivité et destinés d’abord à la communauté sourde et malentendante. Les spectateurs sourds et malentendants peuvent ainsi percevoir tous les sons du spectacle en tenant l’oreiller sur leur corps et en le sentant vibrer. Pour Bustos, en plus du souci d’inclusivité, avoir les oreillers lors de ses représentations était une manière d’honorer une de ses sources d’inspiration artistique — sa grand-mère défunte —, car celle-ci portait un appareil auditif de son vivant.

L’artiste a commencé sa performance par une danse fulgurante aux sons disco de I Feel Love de Donna Summers avant de nous amener dans les plus sombres tranchées de son deuil. Elle a sangloté, elle s’est effondrée au sol, elle a roulé dans la terre, mais elle a fini par retrouver le sourire en dansant le zapateado (une danse à claquettes mexicaine) et en servant du café de olla (un café mexicain traditionnel) enrichi de tequila aux spectateurs assis en carré autour de la scène, tout cela accompagné par un talentueux groupe de musiciens danseurs et une odeur de fleurs.

« J’ai réalisé rapidement que les cinq sens étaient très importants pour Sonia. Et avoir de la musique en direct, ça permet vraiment aux personnes sourdes d’être engagées avec l’instrument, puis avec la personne qui le joue », affirme Claudia Parent, coordonnatrice à l’engagement public au MAI et responsable de la programmation qui favorise l’accessibilité aux oeuvres et aux artistes. C’est une employée sourde du MAI qui a fait cette observation. « Elle nous disait qu’avec les instruments live, ça [changeait] tout. Parce [qu’avec une] musique enregistrée [elle sentait] les vibrations, mais [elle ne savait] pas à quoi ça [résonnait] », dit Claudia Parent. « Donc, quand on a fait des tests […], elle nous a dit que c’était la première fois [qu’elle sentait] une connexion aussi forte avec la musique. »

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Pour la danseuse et chorégraphe mexicaine Sonia Bustos, avoir les oreillers lors de ses représentations était une manière d’honorer une de ses sources d’inspiration artistique — sa grand-mère défunte —, car celle-ci portait un appareil auditif de son vivant.

Le spectacle a été légèrement modifié à la suite de ces commentaires. Au lieu de commencer à jouer en même temps, les musiciens ont commencé à jouer un par un. « [Notre employée sourde] disait que si chaque instrument est introduit un à la fois, [elle allait] pouvoir faire le lien entre la vibration et l’instrument », explique Claudia Parent. Les sièges avec les oreillers vibrotactiles sont aussi positionnés de manière que les spectateurs assis là aient la meilleure vue sur les instruments et les danseurs qui tapent un rythme avec leurs pieds.

Sonia Bustos croit que ces modifications n’ont aucunement enfreint sa vision artistique. « Je n’ai pas eu à forcer la chose, parce qu’en fait, avant, il y avait une scène où [le musicien qui joue] la leona (un type de guitare mexicaine) faisait son exploration [seul] », explique-t-elle. « Donc on avait déjà [cette idée]. » La portion du spectacle de canto cardenche (un type de lamentation chantée a capella du nord du Mexique) s’est aussi naturellement portée aux accommodements. L’arrangement musical que Bustos avait créé avant qu’on lui propose d’avoir les oreillers lors de ses représentations avait déjà prévu que les chanteurs embarquent un par un avant de chanter ensemble.

Cette première expérience avec les spectacles accessibles aux personnes de la diversité capacitaire a permis à Bustos de se conscientiser sur les barrières que vivent ces gens et d’apprendre sur les différentes options qui existent pour les réduire. « En tant qu’artiste, des fois, je me dis que mon projet n’est pas pour tout le monde, explique-t-elle. Juste savoir qu’il existe des possibilités me fait réfléchir à mes prochaines créations. »

De son côté, en plus des oreillers vibrotactiles, Parent prône plusieurs initiatives au MAI pour rendre certaines représentations accessibles à la communauté sourde et malentendante. Elle a organisé des spectacles de danse avec des expressions faciales très prononcées avec la présence d’une médiatrice culturelle sourde avant et après les spectacles. « Souvent, on a invité des gens pour la première fois aux discussions après le spectacle. Donc, ça leur permettait déjà d’avoir une discussion interprétée en ASL (langue des signes américaine) et en LSQ (langue des signes du Québec), explique-t-elle. Les gens pouvaient poser leurs questions. Ça faisait vraiment comme un être ensemble où tout le monde pouvait échanger sur leurs perspectives. »

Pour elle, ces efforts font « la différence entre venir ou non » aux représentations pour plusieurs personnes. « Si tu veux que les gens viennent chez toi, il faut que tu sois accueillant. Il faut considérer les gens dans toute leur personne », conclut-elle.

Avancées en matière d’accessibilité universelle en culture

La communauté de pratique en accessibilité universelle dans les arts de la scène, formée de 64 membres, tiendra un événement au MAI (Montréal, arts interculturels) le 4 juin prochain. Fondé en janvier 2022, ce groupe réunit entre autres plusieurs théâtres montréalais. Lors de cette soirée, cette communauté présentera les actions qu’elle a posées jusqu’ici pour permettre aux spectateurs ayant des limitations — notamment visuelles ou auditives — d’avoir accès à la danse, au théâtre, au cirque et à l’opéra. Le rassemblement aura aussi pour but de sensibiliser le milieu culturel à l’inclusion de tous types de publics, en plus d’aborder les différents défis que cela comporte.

Florence Morin-Martel

À voir en vidéo