Les soldats américains priés de quitter le Niger, où la Russie avance ses pions

Lors du coup d’État au Niger, l’été dernier, bon nombre de drapeaux russes pouvaient être aperçus dans les manifestations en soutien à la junte militaire.
Photo: Sam Mednick Archives Associated Press Lors du coup d’État au Niger, l’été dernier, bon nombre de drapeaux russes pouvaient être aperçus dans les manifestations en soutien à la junte militaire.

La Russie avance ses pions au Niger, où la junte militaire a jugé samedi la présence américaine « illégale », dernier épisode en date du déclassement stratégique occidental au Sahel au profit notamment de Moscou.

Le groupe Wagner appartiendra bientôt à l’histoire : la société militaire privée d’Evguéni Prigojine, tué en août dans un mystérieux accident d’avion, a été réorganisée au sein du nouvel avatar de l’influence russe en Afrique, Africa Corps.

Et celle-ci a enregistré un succès stratégique en fin de semaine dernière, lorsque les généraux au pouvoir à Niamey ont dénoncé « avec effet immédiat » la coopération militaire avec les États-Unis, en vigueur depuis 2012.

« Une forme d’accord est en ligne de mire » entre Niamey et Moscou, estime Christopher Faulkner, professeur au Naval War College américain. « La Russie travaille à une relation militaire plus étroite au Niger depuis le coup d’État » de juillet 2023.

Le régime de Niamey a réorienté sa politique étrangère, en commençant par dénoncer des accords de coopération militaire avec la France, jusque-là indéfectible allié. Les derniers soldats français ont quitté le pays fin décembre.

Deux mois plus tard, Niamey excluait par décret les dépenses militaires de tout contrôle budgétaire. Une façon de donner les coudées franches à l’armée, estime Christopher Faulkner. « Cela augmente les opportunités de conclure avec la Russie des accords plus difficiles à vérifier. »

Tendance géopolitique

Plusieurs sources ont évoqué à l’AFP de possibles débats à Niamey, jusqu’à encore récemment, sur la pertinence d’une alliance avec Moscou. Mais elle s’inscrirait dans une tendance géopolitique lourde.

Des Russes sont déjà déployés au Mali, après un accord conclu entre le régime militaire de Bamako et le groupe Wagner.

Et le Burkina Faso voisin, lui aussi dirigé par des officiers, a récemment admis un appui russe « en termes de formation sur le volet de la logistique, de la formation tactique ». En relevant que si besoin, les soldats russes viendraient « sur le terrain pour combattre ».

Niger, Mali et Burkina suivent ainsi un chemin similaire, se rapprochant de la Russie au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de l’Occident et des instances internationales.

Tous trois ont quitté la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et fondé une force conjointe contre les groupes djihadistes qui sévissent désormais d’un bout à l’autre du Sahel.

Et si Moscou a démantelé Wagner, Africa Corps n’est autre que la « nouvelle marque » d’une même ambition, expliquait à l’AFP en décembre Riley Moeder, analyste au New Lines Institute.

Les objectifs des sociétés de mercenaires russes en Afrique « ne devraient pas changer. Elles sont capables d’exercer l’influence russe à bas coût, avec un degré élevé d’autonomie et de déni possible », ajoutait-elle.

Le projet perdure mais ces groupes « seront contrôlés plus étroitement » par le Kremlin, et continueront de proposer des coopérations militaires en échange de l’exploitation des ressources minières locales.

« Là pour rester »

Lou Osborn, de l’ONG All Eyes on Wagner, décrit pour sa part une politique russe d’autant plus ambitieuse qu’elle s’affiche ouvertement. « La première phase de l’influence russe en Afrique n’était pas assumée, donc cachée, et Wagner était très utile », rappelle-t-elle.

« Désormais, les Russes sont établis de façon plus officielle. Au Sahel ou en République centrafricaine, des photos des délégations russes sont publiées. Le message, c’est qu’ils sont là pour rester. »

Les États-Unis comptent 1100 soldats engagés dans la lutte antidjihadiste au Niger et disposent d’une importante base de drones à Agadez (nord). Partir signifierait notamment livrer des installations clés en main aux Russes.

Et lundi, les États-Unis ont laissé entendre qu’ils ne le feraient pas de gaieté de coeur. Un porte-parole du département d’État a évoqué des « contacts » avec Niamey « pour obtenir une clarification […] et discuter des futures étapes ».

Les Américains « ont exprimé leur inquiétude quant aux relations potentielles du Niger avec la Russie et l’Iran », a admis de son côté une porte-parole du Pentagone, Sabrina Singh, appelant de ses voeux « une nouvelle voie » dans la coopération bilatérale.

En embuscade, Moscou saisira toutes les opportunités.

« Sa campagne pour rassurer ses partenaires et étendre ses relations — comme au Burkina et maintenant au Niger — illustre la valeur que Moscou accorde à son influence en Afrique », assure Christopher Faulkner.

Mais sa guerre en Ukraine limite ses options. L’armée russe prend la direction, via Africa Corps, des déploiements assurés jadis par Wagner (Centrafrique, Soudan, Libye, Mali, Burkina), relève Raphael Parens, du Foreign police research institute (FPRI).

Moscou est « probablement intéressé par un accord avec le Niger, mais sa capacité à accompagner l’opération d’une force militaire est un tout autre sujet », résume-t-il.

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