La session parlementaire en cinq temps

Le chef de l’opposition et du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, à la Chambre des communes, le 3 juin dernier
Photo: Spencer Colby La Presse canadienne Le chef de l’opposition et du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, à la Chambre des communes, le 3 juin dernier

Bien rares sont les élus fédéraux qui disent avoir passé un bon moment lors de la session d’hiver 2024, alors qu’Ottawa a vogué au rythme chaotique des rapports sur le coût de la vie, des données sur l’immigration, des scandales d’ingérence, des contrats pandémiques, et des provocations qui n’ont mis personne de bonne humeur. Bilan en cinq temps.

1. Enfin plus d’information sur l’ingérence étrangère

Un an après les premières allégations d’ingérence étrangère lors des deux dernières élections fédérales, la juge Marie-Josée Hogue, chargée d’enquêter sur cet épineux dossier, a rendu un rapport préliminaire très attendu. Verdict : des actes d’ingérence étrangère pourraient avoir joué un rôle dans le choix du candidat dans un petit nombre de circonscriptions, mais n’ont eu aucune incidence sur l’élection du gouvernement libéral.

Puis un comité de parlementaires a révélé que certains de leurs collègues auraient « aidé sciemment » des agents étrangers, notamment en fournissant des informations confidentielles à l’Inde. Leur identité est consignée dans une version secrète du rapport ; seuls quelques élus savent de qui il s’agit, dont la cheffe du Parti vert du Canada, Élizabeth May, et le chef néodémocrate, Jagmeet Singh.

Le chef Yves-François Blanchet est le prochain à accéder au rapport. La juge Marie-Josée Hogue se penchera sur ces allégations, et son rapport final est attendu à la fin de l’année.

2. Un retour des visas pour les Mexicains

Sous pression pour freiner l’important flux de demandeurs d’asile au pays, le gouvernement fédéral a finalement réimposé, au mois de février, l’obligation d’un visa aux ressortissants du Mexique.

La mesure était réclamée par les deux principaux partis d’opposition au Parlement depuis plusieurs semaines. Le premier ministre du Québec, François Legault, avait même écrit une lettre à son homologue, Justin Trudeau, au début de l’année, pour l’exhorter à freiner l’afflux de ces nouveaux arrivants.

Même si la mesure ne s’applique qu’à environ 40 % des voyageurs qui se rendent annuellement au Canada, elle a rapidement provoqué le mécontentement du président mexicain, qui a affirmé qu’il se réserverait le droit « d’agir de manière réciproque ».

Le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, avait confié que des échanges sur la « croissance exponentielle » du nombre de demandeurs d’asile mexicains avaient lieu en coulisses depuis plusieurs mois, mais qu’aucune autre solution n’avait été trouvée pour empêcher la réimposition du visa.

3. Le chef conservateur expulsé

Si la période des questions est généralement animée à Ottawa, certains échanges plus corsés ont semé le chaos dans la Chambre des communes : notamment lorsque le chef de l’opposition, Pierre Poilievre, a qualifié le premier ministre Justin Trudeau de « cinglé » (« wacko », en anglais).

Le chef conservateur a refusé de retirer ses propos à quatre reprises, à la demande du président de la Chambre, ce qui lui a valu de se faire temporairement exclure des débats. Tous les députés conservateurs ont eux aussi quitté la Chambre par solidarité, après de nombreuses minutes de brouhaha qui ont perturbé les échanges parlementaires.

Les échanges avaient pris une tournure très acrimonieuse dès le départ. Le premier ministre Trudeau avait accusé son rival Poilievre de complaisance face aux suprémacistes blancs. M. Poilievre a réintégré la Chambre dès le lendemain. Depuis, son caucus continue d’utiliser le terme « cinglé » dans des déclarations et sur les réseaux sociaux pour décrire certaines politiques du gouvernement.

4. Les déboires d’une application

Entre les quarantaines et les couvre-feux, la liste des mauvais souvenirs de la pandémie de COVID-19 ne serait pas complète sans l’application pour téléphones intelligents ArriveCan. Non seulement elle était truffée de bogues pour les voyageurs, mais son développement confié à des firmes externes a été marqué par de choquantes irrégularités.

Les fonctionnaires fédéraux n’ont pas cru bon justifier l’octroi de contrats sans appel d’offres à des consultants payés 1090 $ par jour, a-t-on appris cet hiver. Un responsable a tout de même avoué à regret sa participation à une dégustation virtuelle de whisky avec les entrepreneurs qui ont empoché des millions en profits pour avoir refilé à d’autres les contrats ArriveCan.

Résultat : la facture a grimpé à 59,5 millions de dollars, selon les meilleures estimations de la vérificatrice générale, qui parle de la « pire tenue de dossiers » qu’elle a vue de sa vie. C’est la police qui va donner la suite de l’histoire, puisqu’une perquisition a eu lieu au domicile de l’un des deux associés de la firme GC Strategies.

5. L’avorteme nt comme bouée de sauvetage

Des conservateurs n’ont jamais digéré la légalisation de l’avortement survenue il y a plus de 35 ans au Canada, et leurs opposants libéraux se font une mission de le rappeler à mesure que leur formation dégringole dans les sondages.

L’un des deux élus à s’être présenté à la manifestation antiavortement annuelle d’Ottawa, le conservateur albertain Arnold Viersen, a été rabroué quelques semaines plus tard par son chef, Pierre Poilievre, pour avoir répété ses convictions dans un balado. Même le juge en chef de la Cour suprême s’en est mêlé pour dire que le Canada « a réglé la question ».

Qu’à cela ne tienne, les libéraux multiplient l’accusation selon laquelle un gouvernement conservateur ferait reculer le droit des femmes, notamment après que M. Poilievre eut évoqué qu’il ne se gênerait pas pour contourner la Charte canadienne des droits et libertés en matière criminelle. La ministre montréalaise Soraya Martinez Ferrada est allée jusqu’à dévoiler devant le Parlement avoir interrompu une grossesse non désirée dans sa jeunesse.

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