Une serveuse trans à qui l’on a refusé un emploi obtient 15 000$ en dommages
Une femme trans qui s’est vu refuser un emploi de serveuse dans un bar a obtenu près de 15 000 $ en dommages du Tribunal des droits de la personne pour le traitement discriminatoire qu’elle a subi.
Léa (nom fictif puisque le sien est gardé confidentiel par le Tribunal) se présente comme une femme trans.
En mars 2017, elle a postulé un emploi de serveuse au Bar Lucky 7, à Montréal. On l’invite pour une séance de formation et, à la fin de celle-ci, l’employée qui lui a montré les façons de faire de l’endroit s’est déclarée très satisfaite d’elle et l’informe que son horaire de travail lui sera bientôt communiqué. Mais peu après, le gérant lui a demandé si elle est trans « en raison de sa voix ». Léa répond par l’affirmative, et l’homme lui signifie immédiatement qu’il ne peut pas l’engager, en invoquant « un risque de sécurité pour elle » et des craintes de réactions de sa clientèle « vieux jeu ».
Léa rapporte s’être fait dire par le gérant qu’il ne voulait pas « avoir à la défendre tous les jours ». Ce dernier n’a pas présenté sa version des faits au Tribunal.
En détresse, ayant l’impression qu’elle ne serait jamais réellement une femme en raison de sa voix, Léa a porté plainte deux semaines plus tard à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse. Celle-ci estime que la femme a été victime de discrimination en raison de son identité de genre et que le Lucky 7 a porté atteinte à son droit à l’égalité en emploi et à la sauvegarde de sa dignité.
La Commission s’est réjouie de cette victoire remportée devant le Tribunal : « Il s’agit d’un jugement important, puisque c’est l’une des premières causes remportées par la Commission des droits pour un dossier de discrimination en emploi basée sur l’identité de genre. Nous espérons que cette décision permettra de sensibiliser les employeurs et la population au respect du droit à l’égalité des personnes trans », a déclaré le président de la Commission, Philippe-André Tessier.
Identité et expression de genre
L’« identité ou l’expression de genre » n’a pas toujours été un motif de discrimination inscrit noir sur blanc dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Ces mots ont été ajoutés en 2016 seulement, a indiqué en entrevue Me Marjolaine Condrain-Morel, avocate et vulgarisatrice juridique senior chez Éducaloi. Une personne trans pouvait évidemment poursuivre avant cette date, mais les tribunaux se servaient de l’interdiction de discriminer sur la base du « sexe ».
Les juges analysent d’ailleurs ce motif de discrimination relativement nouveau comme tous les autres inscrits dans la Charte, précise l’avocate.
Nous espérons que cette décision permettra de sensibiliser les employeurs et la population au respect du droit à l’égalité des personnes trans.
D’ailleurs, dans sa décision sur le cas de Léa, la juge Catherine Pilon du Tribunal des droits de la personne fait une revue de la jurisprudence et des lois traitant des droits des personnes trans, qui ont commencé à se déployer dès 1978 au Québec. Elle rappelle aussi une cause de 1998 ayant confirmé que l’opération de changement de sexe n’est pas une condition nécessaire pour avoir accès à ce motif de discrimination.
« Le droit est en constante évolution sur cette question-là, comme la société est en constante évolution aussi », ajoute Me Condrain-Morel.
Puis, la juge Pilon écrit n’avoir aucun doute : on a refusé un emploi à Léa parce qu’elle est une femme trans. Son droit à l’égalité en emploi a été enfreint.
Elle juge aussi que la raison donnée par le gérant pour ne pas l’embaucher n’est pas valable. Il avait invoqué le « risque de violence qu’elle encourrait de la part de clients s’ils découvraient qu’elle est une femme trans ». Sans vouloir nier que les personnes trans sont susceptibles de vivre de la violence, la magistrate estime que la preuve ne soutenait pas une telle conclusion. Il ne s’agit ici que d’un « risque hypothétique ». Et puis, un employeur a l’obligation d’offrir un cadre sécuritaire à ses employés, rappelle la juge.
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On ne saurait justifier de la discrimination par les préférences ou les préjugés de sa clientèle, poursuit-elle en se référant à des causes plus anciennes, dans lesquelles, par exemple, on avait refusé d’embaucher une personne en raison de la couleur de sa peau.
La juge a alors décidé d’accorder 12 000 $ en dommages à Léa pour le préjudice psychologique qu’elle a subi après son refus d’embauche.
Parce qu’elle a subi de dures conséquences : « Dans les jours et les semaines qui suivent l’événement du 31 mars 2017, [Léa] est dépressive », note le tribunal dans son jugement. « Elle se sent comme si on lui avait coupé les ailes sur le dos, alors qu’elle a tout fait pour être considérée comme une “vraie femme”. » Elle perd toute estime d’elle-même. Elle développe « une obsession quant au timbre de sa voix » et elle fait deux séjours aux États-Unis par la suite pour être opérée aux cordes vocales, est-il indiqué dans la décision.
La juge ordonne aussi au bar et au gérant de lui payer 2000 $ chacun en dommages punitifs, ainsi qu’une somme équivalant au salaire qu’elle aurait dû recevoir le jour de sa formation.
Une personne victime de discrimination a plusieurs recours, rappelle Me Condrain-Morel. Elle peut poursuivre directement devant un tribunal ou porter plainte à la Commission des droits de la personne, qui va examiner son cas et parfois offrir une séance de médiation. Elle peut aussi porter la cause au nom de la personne discriminée devant le tribunal, ce qui comporte certains avantages pour elle, comme d’avoir une représentation spécialisée dans ce domaine et aussi de ne pas avoir à payer d’avocat. Si la personne victime de discrimination est syndiquée, elle peut aussi s’adresser à son syndicat, ajoute l’avocate d’Éducaloi.
Des causes comme celle-ci « qui touchent au quotidien » permettent d’expliquer aux gens qu’ils ont des droits et qu’ils peuvent les faire valoir, conclut-elle.
Nous espérons que cette décision permettra de sensibiliser les employeurs et la population au respect du droit à l’égalité des personnes trans Philippe-André Tessier »