Les 40 ans de danse et de vers d’oreille de «Footloose»
La série A posteriori le cinéma se veut une occasion de célébrer le 7e art en revisitant des titres phares qui fêtent d’importants anniversaires.
Une ville nord-américaine où la musique et la danse sont non seulement dénoncées par la religion, qui y voit l’oeuvre de Satan, mais interdites par la loi ? Franchement ! Voilà qui résume la réaction de la critique à la sortie du film Footloose, en février 1984. Pourtant, de tels cas de figure existaient, notamment en Oklahoma. Énorme succès populaire, cette ode à la jeunesse et à la liberté d’avoir du fun reste, 40 ans plus tard, aussi irrésistible que sa chanson thème.
Au sujet de l’accueil, la critique de Gary Arnold, dans le Washington Post, est représentative. Arnold conseillait alors au public de « s’enfuir rapidement, au risque d’être englouti par l’imbécillité ».
Qu’à cela ne tienne : le film prit la tête du box-office. Quant à l’album réunissant, entre autres tubes, Footloose, Let’s Hear It for the Boy, Holding Out for a Hero et Almost Paradise, il déclassa Thriller, de Michael Jackson, au sommet des palmarès musicaux.
D’ailleurs, pour toute une génération, les vers d’oreille en question ne manquent pas de convoquer le souvenir d’une kyrielle de scènes emblématiques : Kevin Bacon dansant en solitaire dans un entrepôt ou défiant un adversaire dans un duel en tracteurs (!), Lori Singer trompant la mort en se tenant en équilibre entre une voiture et une camionnette en mouvement…
Or il s’en fallut de peu pour que Footloose mît plutôt en vedette… Tom Cruise et Madonna. Nous y reviendrons.
Conçu par Dean Pitchford, le parolier lauréat d’un Oscar pour la chanson thème du drame musical Fame, Footloose devait être réalisé par Michael Cimino, embauché malgré le flop retentissant de son western Heaven’s Gate (La porte du paradis). Devant les demandes financières extravagantes du cinéaste, le studio jugea cependant plus sage de le renvoyer.
Réalisateur chevronné ayant débuté comme danseur puis comme chorégraphe à Broadway, Herbert Ross fut ainsi engagé. L’un de ses succès passés, The Turning Point (Le tournant de la vie), avait été nommé pour 11 Oscar et se déroulait dans le milieu du ballet.
Un pot-pourri dansé
Dans The Directors: Take Two, Herbert Ross se souvient : « Nous avions l’habitude d’appeler [Footloose] “une comédie musicale dans le placard”, parce que les comédies musicales étaient en disgrâce à l’époque, mais c’était clairement un musical. Donc personne n’en parlait ainsi, mais mon expérience dans le domaine de la comédie musicale m’a beaucoup aidé […] Ce qui est intéressant à propos de ce film, c’est que les chansons que vous entendez, je n’y avais pas accès pendant le tournage du film. »
Afin de pallier ce manque, Ross élabora un découpage technique très précis et utilisa des chansons « temporaires ». À terme, il revint à Paul Hirsch, l’as monteur de Carrie (Carrie au bal du diable) et des Star Wars, de fusionner la mise en scène d’Herbert Ross, les chorégraphies de Lynne Taylor-Corbett et les différentes chansons.
Dans le documentaire sur le tournage produit pour la sortie Blu-ray du film, Taylor-Corbett explique : « C’était une situation particulière : les jeunes du film n’avaient jamais été autorisés à danser, mais avaient sans doute vu de la danse à la télé, voire s’étaient peut-être aventurés hors de la ville pour essayer. Nous avons donc imaginé un composite de tous les styles de danse des dix années précédentes, puis les avons mélangés à certains nouveaux styles, créant une sorte de pot-pourri. »
À noter que Kevin Bacon reçut de l’aide pour les passages dansés, disons, plus extravagants. Comme le précise Herbert Ross dans The Directors: Take Two : « Nous ne l’avons pas seulement doublé dans le film, nous avons triplé Kevin. Il y a trois versions différentes de lui : un danseur, un gymnaste et un acrobate. »
Bacon par défaut
C’est en l’occurrence grâce à Herbert Ross que Kevin Bacon obtint le rôle principal de Ren, cet adolescent originaire de Chicago qui décide d’instruire ses nouveaux camarades de classe sur les joies de la musique pop et de la danse, au grand dam du révérend local.
À l’époque, Bacon n’était pas connu. On se souvenait vaguement de lui parmi les victimes ensanglantées de Friday the 13th (Vendredi 13), en 1980.
En fait, le studio voulait Tom Cruise après l’avoir vu se déhancher en sous-vêtements dans Risky Business (Quelle affaire !), en 1983. Devant l’indisponibilité de Cruise, Paramount opta pour Rob Lowe, qui se blessa avant le tournage.
Parce qu’il aimait sa manière de bouger, Herbert Ross paya de sa poche un essai-caméra avec Kevin Bacon, et le studio se résigna à lui donner la vedette.
Ignorant évidemment que ce rôle ferait de lui une star, Bacon, 24 ans, craignait pour sa part de ne pas être crédible en finissant du secondaire. Aussi décida-t-il de passer une journée incognito, en tant que « nouvel élève », dans l’école de la petite ville de l’Utah où le tournage du film aurait lieu sous peu.
Dans le commentaire audio qu’il enregistra pour la sortie DVD du film, l’acteur se souvient d’avoir rencontré auprès de la faune étudiante et professorale autant d’hostilité que son personnage dans le film. Et, comme dans le film, un élève costaud le prit sous son aile, dissipant l’animosité ambiante. Chris Penn, le défunt frère de Sean Penn, est savoureux dans ce rôle de protecteur à qui Ren apprend à danser : une vraie « bromance ».
Lutter contre l’oppression
Sans oublier Ariel, la fille du révérend. Madonna et Jennifer Jason Leigh furent considérées avant que Lori Singer décroche le rôle, au demeurant fort intéressant pour l’époque.
En effet, les films hollywoodiens portés par un héros, et destinés à un public d’adolescents ou de jeunes adultes, ne se bâdraient guère d’étoffer le personnage féminin tenant lieu « d’objet d’affection ». En conflit avec les valeurs étriquées de son père, et très indépendante d’esprit, Ariel a plus d’épaisseur narrative que, par exemple, Ali (Elisabeth Shue) dans The Karate Kid (Le moment de vérité), sorti en 1984 également.
À l’émission The Today Show, Lori Singer confie en 2008, pour les 25 ans du film : « [Footloose] parle de ce qu’il y a de mieux en Amérique : la liberté, et la volonté de lutter contre toute forme d’oppression, même petite. »
Certes, la démonstration n’est pas subtile. En cela que, par le truchement de Ren et de son association à une métropole, le film oppose l’urbanité et la ruralité, les valeurs libérales et conservatrices, l’ouverture et la fermeture d’esprit.
Quoique, depuis l’ascension de Donald Trump à la présidence des États-Unis et l’imposition d’un conservatisme social à la Cour suprême, Footloose pourrait reprendre l’affiche aujourd’hui (mieux vaut oublier le remake de 2011). C’est dire que le film d’Herbert Ross a eu le temps, en quarante ans, de résonner auprès du public, puis d’être considéré comme quétaine, avant d’acquérir une pertinence renouvelée. Bref, on repassera pour « l’imbécillité ».
Le film Footloose est disponible en VSD sur toutes les plateformes.