Sacrés moustiques qui nous aiment tant!
Avec l’arrivée de la chaleur, ils ont éclos ou ils sont sortis de leur diapause hivernale. Ils sont donc particulièrement nombreux, en ce moment, à rechercher notre nourrissant sang frais. Des scientifiques recherchent des stratégies qui permettraient d’échapper à leurs désagréables piqûres qui, dans certaines régions du monde, s’accompagnent de la transmission de pathogènes responsables de maladies comme le paludisme, la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya, le virus Zika ou le virus du Nil.
Mais pour orienter ces recherches, il a d’abord fallu étudier leur comportement et leur biologie. Lors d’une conférence qu’elle donnait virtuellement cette semaine au Coeur des sciences de l’UQAM, l’entomologiste Chloé Lahondère, professeure au Département de biochimie de Virginia Tech, aux États-Unis, a dressé un portrait détaillé des enquiquineurs de nos vacances estivales au Québec.
D’abord, pourquoi les moustiques nous piquent-elles ?
Hé oui, ce ne sont que les femelles qui nous piquent. Dès que les moustiques adultes sortent de leur pupe immergée dans l’eau, mâles et femelles s’accouplent. Ensuite, les femelles partent en quête d’un repas de sang, car elles y trouvent les protéines nécessaires pour produire leurs oeufs. « Les femelles peuvent vivre assez longtemps pour accomplir plusieurs cycles de ponte avant de mourir. C’est un problème, parce que si elles prennent leur premier repas sur un hôte qui est infecté, elles transmettront les pathogènes qu’elles ont récupérés lors de leurs repas subséquents », fait remarquer la chercheuse.
Les mâles, par contre, ne digèrent pas le sang. Ils se nourrissent surtout du sucre qu’ils trouvent dans le nectar des fleurs (qui contient aussi des acides aminés, des vitamines et des huiles), mais également dans les fruits, le miellat produit par les pucerons et la sève de certains arbres.
Les femelles aussi ont besoin de sucre. « Et ce dernier influence le nombre d’oeufs qu’elles vont pondre. Si la femelle ne mange pas de sucre, elle produit moins d’oeufs, elle vole sur de moindres distances et sa survie est limitée », précise la scientifique.
Pour vérifier si nos jardins fleuris ne constituent pas en quelque sorte « des buffets en libre-service pour les moustiques », l’équipe de Mme Lahondère a posé des pièges à moustiques dans 10 jardins de Blacksburg, en Virginie. De la mi-mai à la fin octobre, les chercheurs ont récupéré chaque semaine les moustiques qui avaient été pris dans ces pièges. Ils les ont congelés, ont identifié l’espèce à laquelle ils appartenaient, puis ont mélangé chaque moustique écrasé à un composé chimique qui réagit avec le fructose du nectar, ce qui leur a permis de savoir si les insectes s’étaient posés sur une plante pour manger du sucre. « Si l’insecte avait du fructose dans son corps, c’est obligatoirement parce qu’il avait visité une plante. On a alors pu extraire l’ADN de la plante sur laquelle il avait mangé et on l’a séquencé pour pouvoir identifier les plantes que l’insecte avait visitées », a-t-elle expliqué.
Les chercheurs ont ainsi trouvé que les moustiques tiraient du sucre, tout au long de la saison, de 26 espèces différentes de plantes aux couleurs et aux formes variées, parmi lesquelles figurent le trèfle, le plantain, la pervenche, l’érable, le bouleau, le prunier, la menthe et le droséra, une plante carnivore. Ils ont également découvert que, vers la fin de la saison estivale, ils mangeaient aussi sur les fruits et sur les légumes de nos jardins. « Certaines plantes sont tellement abondantes et présentes partout — le trèfle, par exemple — qu’il serait trop difficile de les enlever dans le but de contrôler les moustiques », a souligné Mme Lahondère.
Comment nous piquent-ils ?
C’est avec sa trompe que le moustique va tirer du sang d’un petit vaisseau présent dans notre peau. Tel un couteau suisse, cette trompe est un véritable fourreau contenant six stylets différents ayant chacun sa spécialité. Certains vont couper la peau, d’autres vont pousser les tissus et ainsi permettre à la trompe de naviguer à l’intérieur de la peau pour localiser un vaisseau sanguin. D’autres encore vont injecter de la salive, laquelle fait en sorte qu’on se rend compte qu’on se fait piquer. « Parfois, cette salive a des vertus anesthésiantes qui permettent de ne pas sentir la piqûre. » Et il y a aussi un stylet qui permet d’aspirer le sang et de l’envoyer dans le tube digestif du moustique.
Comment le moustique localise-t-il les humains qu’il cherche à piquer ?
« Il utilise ses différents sens, tout comme les humains », répond la scientifique. De loin, le moustique repère ses proies humaines et animales au dioxyde de carbone qu’elles relâchent lorsqu’elles respirent. Puis, à mesure qu’il s’en rapproche, il les retrace au bouquet d’odeurs qui se dégage de leur peau, et ce, grâce à ses antennes dotées de récepteurs sensibles à différents types de molécules.
« L’humain émet à travers la peau environ 400 différents composés organiques volatils que le moustique pourra potentiellement utiliser pour nous traquer. Chaque humain dégage son propre bouquet d’odeurs unique, [qui découle de l’activité métabolique de son corps ainsi que de celle du microbiote de sa peau]. Cette signature chimique olfactive de la peau d’une personne explique pourquoi les moustiques préfèrent piquer certains individus plutôt que d’autres », précise la chercheuse.
Les variations dans l’odeur du corps humain dépendent aussi de nombreux autres facteurs, tels que le profil génétique de la personne, son genre, son âge, les aliments qu’elle consomme, son état de santé ou la quantité d’exercice qu’elle fait. « Il a été démontré que lorsqu’on boit de la bière, on augmente notre attraction pour les moustiques », donne en exemple l’entomologiste, qui cite aussi une étude ayant montré que « certains moustiques étaient attirés par des fromages qui émettent les mêmes odeurs que les pieds humains, ce qui expliquerait pourquoi ces moustiques piquent surtout les chevilles en se guidant sur les composés volatils émis par nos pieds ».
Les parfums et les savons que l’on s’applique quotidiennement sur le corps, sous forme de shampoing, de détergent à lessive, de gel douche pour le corps ou de savon pour les mains, modifient aussi notre odeur corporelle. Et, de ce fait, notre attractivité pour les moustiques, indique une étude effectuée par Mme Lahondère et ses collègues de Virginia Tech publiée dans iScience en 2023.
Lors de cette étude, les chercheurs ont découvert qu’avant de se laver, les volontaires ayant participé à l’étude avaient un profil d’odeurs dominé à 75 % par des aldéhydes et des cétones. Mais une fois qu’ils s’étaient lavés avec quatre différents savons, ils sentaient majoritairement les terpènes, des composés dérivés de plantes que les moustiques visitent pour obtenir du nectar. Les chercheurs ont également observé que le fait de s’appliquer des odeurs de plante augmente l’attirance des moustiques pour notre peau. « Seul le savon ayant une formulation plus simple, composée de dérivés de la noix de coco, était moins attirant que le bras non lavé », ont constaté les chercheurs.
La chaleur que dégage notre corps aide aussi les moustiques à nous localiser. C’est la raison pour laquelle les femmes enceintes, dont la température corporelle est plus élevée, ont tendance à attirer davantage les insectes piqueurs.
Avec les petits organes de Johnston situés à la base de ses antennes, le moustique détecte aussi les mouvements d’air provoqués par nos déplacements, qui font vibrer ses antennes. Et lorsque le moustique est plus proche de ses proies, il utilise sa vision, qui lui permet de détecter les contrastes et les couleurs.
Forts de ces nouvelles connaissances sur les préférences des moustiques, les chercheurs tentent maintenant de mettre au point de nouvelles mixtures pour éloigner et éliminer les moustiques.
Chloé Lahondère précise toutefois qu’on ne vise pas pour autant à éradiquer les moustiques, car ils jouent un rôle important dans l’écosystème. Ils peuvent participer à la pollinisation et sont une source de nourriture pour les poissons, les amphibiens (grenouilles), les oiseaux et les chauves-souris.
Comment se protéger des moustiques ?
Si on veut vraiment échapper aux piqûres, il faut porter des manches longues et des pantalons qui ne collent pas à la peau, car les moustiques peuvent même piquer à travers le denim. Il faut choisir des vêtements aux couleurs claires, car on sait que les moustiques sont attirés par les contrastes et les couleurs foncées.
Au jardin, il faut éliminer les accumulations d’eau stagnante. « Même les petits pots de fleurs peuvent être un nid pour les larves de moustiques », prévient Mme Lahondère. « Et si vous collectez les eaux de pluie, mettez un couvercle pour éviter que les moustiques y pondent leurs oeufs. »
On peut aussi appliquer un répulsif sur la peau, comme la citronnelle ou des huiles essentielles de thym, par exemple. « Mais il faut les réappliquer très souvent, soit à toutes les heures ou toutes les demi-heures », précise-t-elle. Et si on va en Afrique, dans des zones de transmission de la malaria, il faut utiliser un répulsif plus puissant, comme le DEET.
Comment piéger les moustiques ?
L’appât toxique sucré (ou ATSB, pour attractive toxic sugar bait) est un type de piège à moustiques très efficace et peu cher que l’on peut fabriquer soi-même.
Il consiste en un petit contenant, noir de préférence (parce que cette couleur attire les moustiques, mais pas les abeilles et les papillons qui préfèrent les couleurs vives). L’ouverture du piège doit être d’un diamètre qui ne permet qu’aux moustiques de pénétrer. La solution d’appât est composée de sucre et de 1 % d’acide borique, qui n’est pas toxique à ce dosage pour les mammifères comme les souris. « Ce composé chimique se trouve assez facilement dans le commerce, parce qu’il est utilisé pour le contrôle des blattes et des cafards, et il n’est pas cher du tout », souligne Mme Lahondère.
Cet appât sucré, qui stimule l’appétit des moustiques, permet de piéger autant les mâles que les femelles. Pour attirer encore plus de moustiques dans le piège, on peut y ajouter des fruits (pêches, mûres, bleuets, etc.) ou même du cola — « que les moustiques adorent », explique la chercheuse.