Revitaliser les langues autochtones
Collaboration spéciale
Ce texte fait partie du cahier spécial Développement autochtone
Malgré les défis, quelques initiatives locales et régionales veillent à leur diffusion, à leur apprentissage et à leur protection.
« Le Québec compte 69 écoles autochtones et des centres d’amitié autochtones présents dans au moins 14 villes qui agissent également pour la transmission des savoirs et en particulier des langues », dit l’anthropologue Carole Lévesque, professeure titulaire à l’INRS et responsable de DIALOG, un réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones créé en 2001.
En 2018, le réseau DIALOG a créé l’Alliance Kapakan, qui s’intéresse plus particulièrement aux questions éducatives, notamment aux langues. Grâce au soutien de la Fondation Lucie et André Chagnon, cet organisme a tenu une quinzaine d’ateliers et, plus récemment, un deuxième forum qui a réuni une cinquantaine de participants. « On parle beaucoup de la langue comme d’une question de droits, mais les initiatives en éducation ne sont absolument pas connues », note la professeure.
Frances Mowatt participe aux activités de l’Alliance Kapakan depuis deux ans. Enseignante à l’école Migwan dans la communauté de Pikogan, près d’Amos, en Abitibi, elle a découvert Kapakan par sa soeur Julie, qui siège au comité d’orientation stratégique et scientifique de l’Alliance. « J’ai beaucoup profité des échanges, notamment pour trouver des trucs, et passer les nôtres », dit-elle.
Inverser la tendance
Selon Carole Lévesque, il est très difficile de faire des généralisations sur l’état des 11 langues autochtones au Québec. Le cri, l’inuktitut, le naskapi et l’attikamek profitent d’un taux de transmission très élevé. À l’inverse, le huron, le malécite, le mohawk, l’abénaquis sont très menacés ou quasi éteints. Entre les deux, il y a l’anichinabé, l’innu et le micmac, dont la santé varie selon les communautés et les générations.
Frances Mowatt donne quelques chiffres sur la situation à Pikogan, qui compte environ 650 résidents. « Chez les 55 ans et plus, presque tous [parlent l’anichinabé]. Mais chez les 35-55 ans, ça tombe à la moitié, puis au quart chez les 18-35 ans, et 10 % chez les plus jeunes. Heureusement, les enfants le comprennent encore beaucoup, on mise là-dessus. Mais le manque de vocabulaire des parents est un défi. »
Elle fait partie d’un comité d’aînées et d’anciennes enseignantes qui s’est constitué en une sorte de commission de terminologie : elles se rencontrent une fois par mois afin de moderniser la langue anichinabée. « Notre langue est très imagée, mais il nous manque plein de mots. À chaque rencontre, on explore un thème : les animaux sauvages, les animaux de la ferme, la nourriture, etc. », raconte Frances Mowatt, qui travaille à constituer un petit dictionnaire visuel de 2000 mots.
Le type d’initiatives varie beaucoup selon la communauté et la langue, explique Carole Lévesque. Chez les Innus de Pessamit, sur la Côte-Nord, où l’on parle beaucoup la langue, la communauté se mobilise en mars, lors du Mois des langues autochtones, pour organiser une programmation dense de concours, de dictées et d’activités autour de la langue. Du côté de Uashat-Maliotenam, à Sept-Îles, on organise plutôt des séjours sur le territoire pour faire découvrir aux jeunes les sentiers de portage, les rivières et leur faire pratiquer le vocabulaire. Côté attikamek, le Centre d’amitié autochtone de La Tuque explore la possibilité de faire plus de place à la langue dans les écoles du centre de services scolaire.
Favoriser la persévérance scolaire
Frances Mowatt explique que sa communauté mise fortement sur la langue et la culture pour assurer la persévérance scolaire — et vice-versa. Depuis que Pikogan a pris en charge l’éducation en 1980, l’école primaire Migwan accueille 92 à 110 enfants selon les années. Le programme est principalement en français, mais les enfants reçoivent deux heures et demie en anichinabé chaque semaine. « Mais il nous faut tout faire. Les cahiers d’exercices, les livres, on ne peut rien commander. »
La langue évolue parce que les communautés évoluent, en particulier vers la ville. « Depuis 25 ans, la tendance est continue. La moitié des 1200 municipalités ont une présence autochtone avec des proportions appréciables dans plusieurs villes, dont Québec, Val-d’Or », dit Carole Lévesque. La professeure avance qu'il y a quelque 9000 membres des Premières Nations et du peuple inuit à Montréal. Dans la région métropolitaine de Montréal, le chiffre serait d’environ 34 000, rapporte le Réseau de la communauté autochtone à Montréal. Cosignataire en 2015 d’une importante synthèse des connaissances sur la réussite et la persévérance scolaires des élèves autochtones, elle ajoute : « Quand on est rendu dans des proportions pareilles, ça prend des politiques. On ne peut plus compter sur les aménagements à la pièce ».
Elle salue les enseignantes qui font des efforts louables dans ce sens, mais elle déplore le fait qu’elles soient rarement soutenues par leurs collègues, la direction scolaire ou celle du Centre de services scolaire. « Ça prend une politique interne d’accueil des élèves autochtones, ça prend une approche pédagogique, du matériel, des actions de la hiérarchie. La connaissance de la langue et de la culture autochtones ne suffit pas. »
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