Des institutions culinaires qui défient le temps

Sophie Ginoux
Collaboration spéciale
« Nous avons choisi de demeurer classiques. Au Bonaparte, il n’y a pas de cuisine fusion, pas de surprise », affirme Martin Bédard, directeur du restaurant.
Photo: Photo fournie par l’établissement « Nous avons choisi de demeurer classiques. Au Bonaparte, il n’y a pas de cuisine fusion, pas de surprise », affirme Martin Bédard, directeur du restaurant.

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Ah, les vieux classiques ! Sur une scène culinaire dont il est parfois difficile de suivre le rythme des ouvertures et des fermetures, il est bon de savoir qu’on dispose encore de repères sur lesquels les années n’ont pas eu d’emprise. Visite croisée de deux de ces institutions, préservées ou réinventées, dont le seul nom évoque une longue histoire, des plats iconiques et une certaine vision de la restauration : le Bonaparte et le Moishes.

40 ans de tradition française

Quand on se trouve devant la bâtisse du Bonaparte, située dans une petite rue du Vieux-Montréal, on ne s’étonne pas que l’hôtel boutique et le restaurant qu’elle abrite soient encore, après 41 ans d’activité, considérés comme un secret bien gardé du quartier. Même la façade de cette institution, sobre et discrète, ne préfigure pas l’expérience qu’on peut y vivre.

Pourtant, une fois la porte de cet établissement franchie, on comprend rapidement pourquoi de nombreux touristes européens, ainsi que des vedettes comme Halle Berry, Charles Aznavour, Julia Roberts, Madonna, Angelina Jolie ou Lionel Richie sont venus ici. Le Bonaparte constitue une sorte d’enclave hors du temps. Avec sa division particulière (trois salles assez intimes), son décor de type Renaissance, ses grands chandeliers, ses moulures et ses dorures, ses nappes blanches et son ambiance feutrée, ce restaurant tranche avec l’effervescence et la « branchitude » à l’ordre du jour dans le Vieux-Montréal.

Photo: Bonaparte La salle à manger du Bonaparte

« Beaucoup d’autres commerces ont ouvert et fermé leurs portes autour de nous, mais nous sommes encore là », confirme fièrement le directeur, Martin Bédard. L’homme a fait, il y a 35 ans, ses premières armes en service dans cet établissement, avant de fouler les planches de Broadway dans des comédies musicales et de travailler pour plusieurs tables étoilées à travers le monde. Finalement, il a choisi de revenir à son alma mater, qui semble tout autant fidéliser son personnel que sa clientèle.

« Nos clients viennent une fois par semaine ou une fois par an, mais ils reviennent toujours, témoigne M. Bédard. Certains d’entre eux ne regardent même pas le menu, ils savent à l’avance ce qu’ils veulent manger ici et ils sont sûrs de le trouver. »

Effectivement, la carte du Bonaparte échappe elle aussi à la temporalité. Bisque de homard, baluchon de lapin, crème brûlée au foie gras, tartare, magret de canard, côte de veau, profiterole… Les grands classiques de la cuisine française font corps avec ce restaurant, jusqu’à la présentation des assiettes, avec des légumes tournés et des sauces généreuses réalisées à base de fonds réduits. À tel point qu’on se croirait transportés dans une bonne brasserie française, garçons de café parisiens compris. Une position tout à fait assumée par la direction.

« Nous avons choisi de demeurer classiques, explique M. Bédard. Au Bonaparte, il n’y a pas de cuisine fusion, pas de surprises. Je le dis souvent, si vous voulez une salade César, il vaut mieux vous rendre ailleurs, parce que tous les autres en font. Mais ce qui nous distingue, c’est justement de ne pas céder à la tentation de faire comme les autres. »

Sans s’attarder aux modes passagères, le Bonaparte a tout de même ajouté un petit bar à son décor depuis quelques années. Il y propose depuis des cocktails, dont 12 créés à l’occasion de son 40e anniversaire, en suivant le calendrier révolutionnaire qui orne ses murs. Plus français que ça, impossible.

La renaissance de Moishes

Dès qu’on prononce le nom Moishes, tous les Montréalais, mais aussi une bonne partie des gens d’affaires, des touristes et des personnalités du monde entier, savent qu’il s’agit d’un temple du steak. L’établissement a été fondé en 1938 par Moishe Ligther. La légende raconte qu’il l’avait remporté au poker face à son patron. Depuis, ce restaurant haut de gamme du boulevard Saint-Laurent a bâti sa réputation sur la qualité de son boeuf vieilli à sec, puis grillé.

Racheté en 2018 par le Groupe Grandio, on ignorait comment cet établissement iconique allait déménager ses pénates dans le Quartier international de Montréal sans perdre son âme. Une pandémie plus tard, le Moishes 2.0 a finalement ouvert ses portes le 14 juin 2023, dans un local vitré et lumineux aux antipodes du sous-sol sans fenêtre qu’il occupait auparavant.

Photo: Grandio Le steak surf & turf du Moishes

« Beaucoup de choses ont changé », confirme le directeur général de Moishes, Jean-Michel Bourassa, qui a accepté sans hésiter le défi de faire revivre Moishes. « Pendant deux ans, raconte-t-il, nous avons travaillé côte à côte avec les anciens propriétaires pour que cette nouvelle adresse reflète la précédente. Nous voulions recréer la chaleur, le confort et la qualité sans prétention de Moishes. L’effet “wow” que les gens recherchaient sur place. Et je peux affirmer que nous y sommes parvenus. »

Effectivement, le chic établissement fait le plein, même en semaine. Si sa nouvelle apparence est bien plus moderne, ses designers ont pris soin d’intégrer de nombreux clins d’oeil à son passé. On y retrouve des lustres d’origine, une reprise des carreaux en étain de l’ancien plafond, une murale narrant son histoire, etc. Et bien que les nappes blanches sur les tables aient disparu, le service personnalisé et les mets incontournables du steak house sont demeurés les mêmes.

Photo: Photo fournie par l’établissement La salle à manger du Moishes

Moishes est donc toujours synonyme de coupes de boeuf de catégorie USDA Prime, l’une des meilleures au monde, vieillies et grillées à la perfection. On y choisit sa préférée (côte, contre-filet, filet mignon, etc.), puis une sauce et des accompagnements comme la traditionnelle pomme de terre Monte-Carlo (farcie), des légumes grillés, ou encore d’addictifs oignons frits. Et pour demeurer dans la logique carnivore, on peut ajouter à sa dégustation un os à moelle ou du carré d’agneau.

Cette forte tradition n’empêche pas le chef Murteza Talu, originaire de Turquie, de mettre son grain de sel au menu avec des entrées et des plats de poissons, de fruits de mer ou végétariens. « Si d’anciens clients reviennent, ils seront ainsi sûrs de retrouver leurs classiques, explique-t-il. Mais ceux qui ne veulent pas de viande trouveront aussi des options intéressantes. »

Soulignons enfin le soin particulier apporté à la cave du restaurant. Si l’ancien Moishes proposait déjà de belles bouteilles, sa nouvelle version, pilotée en sommellerie par Thomas Carney, compte 800 références qui valent le déplacement. Et ce dernier ne cache pas son ambition d’aller chercher le Grand Award du Wine Spectator. Comme quoi, tout en demeurant classique, on peut se réinventer… et viser encore plus haut !

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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