La relève culinaire brille à Québec
Collaboration spéciale
Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs
En matière de gastronomie, Montréal a longtemps volé la vedette aux régions, y compris à Québec. Mais c’est de moins en moins vrai. Un peu partout dans la province, et de manière encore plus appuyée dans notre capitale, de magnifiques projets sont menés par une relève très talentueuse. Quelle vision et quelles ambitions nourrissent ces inspirants chefs ? Nous avons rencontré quatre d’entre eux pour le savoir.
Premier arrêt : le Château Frontenac. Outre la beauté de son architecture, cet endroit héberge un hôtel et un restaurant prestigieux. La table du Champlain est fréquentée par des visiteurs de tous les continents, avec toute la pression que cela implique. Pourtant, depuis un an à peine, on en a confié les rênes à un jeune chef qui n’avait jamais dirigé les cuisines d’un hôtel, ni même celles d’un restaurant avec une grande capacité d’accueil.
Ce chef, c’est Gabriel Molleur-Langevin, ancien bras droit pendant près de six ans d’Antonin Mousseau Rivard au montréalais Mousso, dont la réputation dépasse nos frontières. Comment expliquer un tel changement ? « Pour le challenge, répond-il honnêtement. En acceptant ce poste au Champlain, je savais que j’apprendrais beaucoup et qu’on me laisserait de l’espace pour m’exprimer librement. »
Depuis son arrivée aux commandes, et malgré les contraintes propres à tout hôtel, Gabriel Molleur-Langevin a déjà, de son propre aveu, réalisé beaucoup de chemin avec sa brigade. « Je suis parti du principe que, quand on voyage, on a envie de goûter à la cuisine du coin. Je me suis donc demandé comment représenter au mieux le terroir québécois, tout en étant accessible à tous. »
Au menu du Champlain, on trouve ainsi des plats rassurants et d’autres plus téméraires. « Je peux servir du canard, une protéine assez simple, avec des garnitures originales. Ou bien être plus aventureux avec une entrée de consommé de boeuf arrosé d’huile de livèche et surmonté d’une mini-brochette de langue de boeuf », explique Gabriel Molleur-Langevin, qui a réussi à séduire son public. Il est d’ailleurs en nomination pour le titre de Chef de l’année aux prochains Lauriers de la gastronomie québécoise, dont les résultats seront connus le 27 mai.
Une petite table si grande
Une table, deux chefs, dix personnes et dix services gastronomiques à l’aveugle, du jeudi au dimanche soir. C’est là le concept audacieux — pour ne pas dire casse-gueule — du Kebec Club privé. Pierre-Olivier Pelletier et sa conjointe, Cassandre Osterroth, l’ont lancé en 2019 après avoir cuisiné côte à côte au Laurie Raphaël, également à Québec. Et contre toute attente, ils ont réussi à tirer leur épingle du jeu.
« On nous disait que ce serait compliqué, confessent-ils. Limiter le nombre de clients à dix, avec deux jeunes chefs inconnus et des prix supérieurs à des formules traditionnelles, à Québec en plus, il fallait y croire. Mais nous sentions que l’expérience que nous allions proposer, à la fois gourmande, exclusive et sociologique, fonctionnerait. »
Un pari réussi, puisque le micro-restaurant est désormais régulièrement plein à l’avance, avec une clientèle à moitié régionale et à moitié touristique. Comment se déroule une soirée type au Kebec Club privé ? Les convives prennent un apéritif et des bouchées au lounge, puis ils sont invités à passer à table pour déguster le menu évolutif des deux chefs, qui font aussi le service. Produits de la mer, foie gras, viande, fromage, dessert, mignardises et digestif… Les clients s’apprivoisent et se régalent de petits plats souvent surprenants, à l’image d’une tartelette au mélilot, accompagnée d’une quenelle de crème fouettée… et d’une cuillère de caviar.
« Rassurez-vous, les gens aiment tellement ce dessert que c’est le seul élément du menu qu’on ne peut pas changer ! » lancent les restaurateurs, qui savourent la liberté créative totale dont ils jouissent. Ils ne doivent pas être dans le tort, puisque Pierre-Olivier Pelletier a, l’an dernier, représenté le Canada à la finale mondiale du concours de la San Pellegrino Young Chef Academy, qui s’adresse aux jeunes chefs de moins de 30 ans.
Immersion sensorielle
Après ses études, François-Emmanuel Nicol a songé, comme beaucoup, à travailler à Montréal. « Mais l’Abitibien en moi était sensible à la proximité de la nature et des produits. Québec a donc été un choix évident », raconte celui qui est depuis 2019 à la tête d’un des restaurants expérientiels les plus salués au Québec, Tanière3. Cet établissement fait d’ailleurs partie de la courte liste des Relais & Châteaux et dispose depuis 2022 des prestigieux Cinq Diamants du guide CAA/AAA.
Dans un décor unique et chargé d’histoire, à savoir les voûtes des maisons Leber et Charest dans la vieille ville, le chef copropriétaire offre aux visiteurs une immersion sensorielle. Et ce, à travers un parcours gastronomique d’une quinzaine de services. « Chaque voûte a son écosystème, explique-t-il. La première est consacrée aux entrées, la seconde aux plats, et la troisième aux desserts. » Lors de notre rencontre, les bouchées en entrée, comme un foie gras à l’armoise torréfiée, étaient développées avec des plantes méconnues sélectionnées par un biologiste. Puis sept mets suivaient avant que le dessert et des mignardises sur le thème des feux de forêt, dont un gâteau forêt-noire sans chocolat aux copeaux rappelant le bois, ne viennent clôturer la soirée.
On l’aura compris, le locavorisme et la découverte du terroir québécois sont au coeur de la mission de Tanière3. François-Emmanuel Nicol travaille directement avec des producteurs, des cueilleurs et des artisans d’ici pour repousser les frontières de la gastronomie québécoise.
Et ce, tout comme Gabriel Molleur-Langevin, qui s’approvisionne dans les régions avoisinantes et se sert en pousses d’épinette chez son père, à 20 minutes de son restaurant. C’est aussi le cas de Pierre-Olivier Pelletier et de Cassandre Osterroth, qui cueillent toutes les plantes sauvages utilisées dans leur cuisine.
« Chaque ville a son microclimat, précise Pierre-Olivier Pelletier. À Montréal, la créativité est mue par les brassages culturels et ethniques, tandis qu’à Québec, c’est le caractère local, ancré dans le territoire, qui nous inspire le plus, je pense. Et la gastronomie de ces deux villes, tout comme celles des régions, qui se développent à pas de géant, mérite pleinement d’être reconnue à l’échelle internationale. » Si on se fie aux récentes démarches entreprises par le collectif La Table ronde, qui réunit 168 des plus belles tables du Québec, pour que le Guide Michelin et le World’s 50 Best s’implantent dans la province, le jeune chef n’est pas le seul à voir grand. Et il a parfaitement raison.
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