Les partenariats, vecteurs de réconciliation économique avec les Autochtones

Jean-François Venne
Collaboration spéciale
Les communautés autochtones prennent leur développement économique en main, comme les Innus de Pessamit (sur la photo), qui se sont dotés l’an dernier d’un nouveau département de développement économique.
Photo: Ed Jones Archives Agence France-Presse Les communautés autochtones prennent leur développement économique en main, comme les Innus de Pessamit (sur la photo), qui se sont dotés l’an dernier d’un nouveau département de développement économique.

Ce texte fait partie du cahier spécial Développement autochtone

Le gouvernement et certaines entreprises participent à des partenariats d’exploitation et de transformation des ressources en copropriété avec les communautés autochtones. Cette avenue constitue l’une des facettes de la réconciliation économique, qui vise à rétablir des relations justes et équitables.

En avril dernier, Kahsennenhawe Sky-Deer, grande cheffe du Conseil des Mohawks de Kahnawake, Michael Sabia, p.-d.g. d’Hydro-Québec, et Ian Lafrenière, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, étaient réunis sur le territoire mohawk de Kahnawake. Ils y ont signé des ententes qui feront du Conseil des Mohawks de Kahnawake et d’Hydro-Québec des copropriétaires de la ligne Hertel-New York une fois qu’elle sera mise en service, en 2026.

« Ce partenariat représente un exemple intéressant de réconciliation économique, bien que ses retombées concrètes ne se fassent sentir qu’au cours des prochaines années », soutient Alexandre Bacon, président-fondateur et conseiller principal de l’Institut Ashukan.

Une économie à reconstruire

La réconciliation économique se rapporte à la possibilité pour les communautés autochtones de reprendre du pouvoir sur le développement de leur territoire et d’en tirer des bénéfices ainsi qu’à leur inclusion dans tous les aspects de l’activité économique du Québec. L’arrivée des colons européens a détruit les structures économiques que ces communautés avaient construites. Par la suite, des politiques et des lois, en particulier la Loi sur les Indiens, ont contribué à les exclure de pans entiers de l’économie nationale.

Jusqu’à maintenant, la réconciliation économique est souvent passée par le versement de paiements, voire de réparations, aux communautés autochtones pour des projets établis sur leurs terres. En mai dernier, Hydro-Québec a signé des ententes pour le versement de plusieurs dizaines de millions de dollars avec le Conseil des Innus d’Unamen Shipu et celui des Innus de Pakua Shipi, afin de régler des différends au sujet de la centrale du Lac-Robertson, située sur la Côte-Nord.

L’octroi de contrats aux entreprises autochtones pour qu’elles participent à la réalisation des projets et l’entrée des communautés comme actionnaires et copropriétaires représentent d’autres figures de la réconciliation économique.

L’approche de la copropriété est chère au coeur d’Alexandre Bacon. « C’est l’occasion pour les communautés d’être des parties prenantes dans la manière dont le territoire est développé et de générer des revenus, précise-t-il. L’essor des Premières Nations passe par une autonomie financière que les transferts fédéraux actuels ne leur permettent pas d’acquérir. »

Son organisme offre des services de formation, de recherche et de conseils stratégiques sur les réalités autochtones afin d’accompagner les organisations qui le souhaitent dans leurs relations avec ces peuples. Dans les langues algonquiennes, le mot « ashukan » réfère d’ailleurs à un pont entre deux rives.

Les yeux sur l’énergie

Les communautés autochtones cherchent donc des occasions d’investissement à long terme. Plusieurs d’entre elles considèrent le secteur énergétique comme un filon intéressant, depuis déjà de nombreuses années. Au Lac-Saint-Jean, les élus de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (qu’on nommait encore à cette époque le Conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean) ont fondé Hydro-Ilnu pour répondre à des appels d’offres d’Hydro-Québec dans les années 1990. Leur objectif était de générer leurs propres revenus pour surmonter la dépendance aux subventions gouvernementales.

Ils se sont rapidement heurtés à l’obstacle du financement. Le coût de réalisation du premier projet, la minicentrale hydroélectrique Minashtuk, sur la rivière Mistassibi, s’élevait à 25 millions de dollars. Une somme qu’ils auraient pu tenter d’obtenir par l’entremise de prêts à haut taux d’intérêt. La communauté a plutôt noué un partenariat avec Hydro-Québec pour la construction ainsi que la mise en service de l’installation, qui s’est faite en 2000. Depuis, des partenariats ont été conclus avec des MRC de la région pour d’autres minicentrales.

« C’était un peu les balbutiements d’une approche appelée à prendre de plus en plus d’ampleur », indique le président de l’Institut Ashukan. Les communautés autochtones ne s’intéressent pas qu’à l’hydroélectricité. Depuis plusieurs années, elles s’activent du côté de l’éolien. Les Innus développent d’ailleurs le parc éolien Apuiat, en partenariat avec Boralex, un projet de 200 mégawatts situé en partie sur le territoire traditionnel de la Première Nation d’Uashat mak Mani-Utenam.

Photo: Alexandre Shields Archives Le Devoir Le parc éolien Apuiat, situé en partie sur le territoire traditionnel de la Première Nation d’Uashat mak Mani-Utenam

Des obstacles à lever

L’avenue des partenariats de copropriété est toutefois parsemée d’embûches. « L’accès au financement constitue l’un des principaux obstacles à la participation des communautés autochtones à des projets énergétiques d’envergure puisqu’elles ne possèdent pas énormément de capitaux », explique Alexandre Bacon.

L’Administration financière des Premières Nations peut offrir des prêts à long terme à des taux avantageux aux communautés autochtones qui ont obtenu la certification du Conseil de gestion financière des Premières Nations. Celle-ci témoigne du fait que la Première Nation emprunteuse a adopté des pratiques de gouvernance et de finances saines.

En 2024, le budget fédéral annonçait le lancement du Programme de garantie de prêts pour les Autochtones, qui vise à favoriser l’accès au capital et à éliminer les obstacles à leur prise de participation dans des projets liés aux ressources naturelles et à l’énergie. L’Alberta, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et l’Ontario ont aussi ce genre de programme, qu’Alexandre Bacon aimerait bien voir au Québec.

L’Initiative pour la participation autochtone de la Banque de l’infrastructure du Canada aide aussi les communautés des Premières Nations, métisses et inuites à acheter des participations dans des projets d’infrastructure situés sur leurs territoires traditionnels.

La Loi sur les Indiens présente, quant à elle, des obstacles structuraux majeurs, en particulier l’impossibilité de saisir des terres ou des entreprises individuelles en territoire autochtone. « À première vue, ça a l’air d’un avantage, mais dans les faits, ça limite grandement ce que les Premières Nations peuvent offrir comme garantie en échange d’un prêt », précise Alexandre Bacon.

Bien des efforts restent donc à faire, notamment sur le plan législatif, pour créer les conditions favorables à des partenariats équitables avec les communautés autochtones. « Le développement de l’économie autochtone ne se fait pas au détriment du reste de la population, assure le président de l’Institut Ashukan. Au contraire, il génère des retombées importantes dans l’ensemble de l’économie québécoise et canadienne. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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