Rabaska 2.0, la onzième plaie

Vue de la baie où serait érigé le long quai du projet Rabaska
Photo: Archives P. Lavallée Fotosix Vue de la baie où serait érigé le long quai du projet Rabaska

Il y a vingt ans, en 2004, un consortium international entamait la construction d’un port méthanier sur un site naturel remarquable par sa valeur et sa beauté, un territoire agricole et patrimonial à l’est de Lévis et situé en face de l’île d’Orléans. En 2007, un décret gouvernemental modifiait le zonage d’agricole à industriel, et enclenchait la prise de possession de 272 hectares de terres et de milieux naturels par la Société en commandite Rabaska. À la suite de l’abandon du projet en 2013, la promesse de retourner ces terres en zone agricole a été ignorée par les gouvernements successifs.

Surprise, à l’hiver 2024, l’appétit capitaliste se réveille. Dans une séquence de décisions manquant de transparence, le gouvernement du Québec fait l’acquisition desdites terres. Un nouveau prophète de Baal sonne le clairon : on y aménagera un « complexe industrialo-portuaire ». Les satrapes du développement sauvage s’activent, les opportunistes du milieu des affaires accourent. C’est le retour d’un cauchemar pour des citoyens de Lévis et de Beaumont qui furent contraints de laisser leurs terres pour accueillir un projet incompatible avec la qualité de leur environnement. C’est aussi un réveil pour la communauté métropolitaine de Québec-Lévis.

Début juin, Le Devoir a rapporté l’action préventive de citoyens, d’organismes de protection de l’environnement et du Syndicat de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de Lévis, qui proposent le projet Fiducie Agriculture Nature – Lévis pour protéger de manière pérenne les terres cultivées et leurs milieux naturels. Avec la Grande plée Bleue au sud, tourbière plus que millénaire vestige de la dernière glaciation, et le parc de la Pointe-de-la-Martinière en bordure du fleuve au nord-ouest, ce projet de fiducie vise à pérenniser un arc géographique agriculture-nature et à préserver un patrimoine paysager unique bordant le Saint-Laurent.

La résurrection d’un Rabaska 2.0 étonne et choque d’autant plus. Elle suscite l’émoi et force une réflexion. Le mythe des 10 plaies d’Égypte vient à l’esprit, car il rappelle que les désastres naturels sont récurrents dans l’histoire. Nouveau : l’humain est devenu le déclencheur du désordre de la nature qu’il prétend contrôler.

« Il changea leurs eaux en sang. Et fit périr leurs poissons. » Psaumes 105, 29

Tout développement urbain ou industriel qui empiète sur les terres agricoles et les milieux naturels contribue aux bouleversements climatiques et aux pertes de la biodiversité. Par exemple, la hausse de températures des eaux provoque la production d’algues rouges donnant la couleur du sang à l’eau. Elles sont sources de toxines ; celles-ci tuent la vie aquatique. Rabaska 2 menace l’environnement terrestre et marin du Saint-Laurent.

« Le pays fourmilla de grenouilles, jusque dans les chambres de leurs rois. » Psaumes 105, 30

Les animaux aquatiques comme les grenouilles, les tortues et les oiseaux fuient les eaux polluées. Des animaux recherchent alors un refuge dans les zones habitées. La destruction des terres de Rabaska poussera dans un premier temps la faune locale à l’exode, brouillant la frontière entre les milieux naturels et urbains. À l’exode de la faune locale suivra son élimination dans les quelques années. Qui gagne ? Personne. Qui perd ? Nous tous.

« Toute la poussière de la Terre fut changée en poux… » Exode 8, 16

« Et tout le pays d’Égypte fut dévasté par les mouches. » Exode 8, 20

La disparition des prédateurs crée un déséquilibre entre les espèces. Paradoxalement, il y a pullulation et disparition des insectes et moustiques dues à l’absence de prédateurs, les oiseaux et les grenouilles par exemple. Pire, la perturbation des milieux déclenche une migration des bactéries et des virus qui évoluaient en écosystèmes fermés. De nouvelles maladies surgissent : Lyme, Ebola, Marburg, Zika, dengue, et pour nos animaux, grippes aviaires et porcines. L’agriculture est perturbée, la chaîne alimentaire aussi.

« Ils prirent de la cendre de fournaise, et se présentèrent devant Pharaon ; Moïse la jeta vers le ciel, et elle produisit sur les hommes et les animaux des ulcères formés par une éruption de pustule… » Exode 9, 8

Les déforestations massives déclenchent les tragédies de fièvres hémorragiques, encéphalites et autres. Les virus « échappés » trouvent des insectes qui s’abreuvent aux humains plutôt qu’aux animaux indigènes.

« Il leur donna pour pluie la grêle, des flammes de feu dans leur pays. Il frappa leurs vignes et leurs figuiers, et brisa les arbres de leur contrée. » Psaumes 105 : 32

« Il livra leurs récoltes aux sauterelles. » Psaumes 105, 34

Événements météorologiques extrêmes, incendies et inondations deviennent un refrain avec pour couplets la multiplication des insectes ravageurs, des maladies infectieuses et des pandémies. L’usage accru des pesticides, ligne temporaire de défense, ne fait que déplacer et amplifier les ravages.

« Il envoya des ténèbres et amena l’obscurité, et ils ne furent pas rebelles à sa parole. » Psaumes 105, 28

« Il frappa tous les premiers-nés de leur pays, toutes les prémices de leur force. » Psaumes 105, 36

Les vagues de chaleur deviennent plus tueuses ; les feux pullulent. Leurs fumées cachent le Soleil, nouvelles ténèbres. Les conflagrations prennent des ampleurs fulgurantes, « tempêtes de feu » atteignant 1200 °C ; l’air incandescent enflamme à distance, liquéfiant l’asphalte, et fondant verre et métal.

C’est la faim, le chaos et la guerre. Cherchant abri, animaux et insectes fuient leurs milieux détruits ; les populations quittent leurs territoires abîmés : des vagues d’immigration massives déferlent vers les contrées offrant de meilleurs cieux.

Les mots percutants gravés sur la murale de Jordi Bonet au Grand Théâtre de Québec demeurent pertinents : « Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves ? C’est assez ! » Résistons, crions. Surtout, ignorons les promesses d’un pont d’or ou les miroitements de l’abattoir des sirènes économiques.

Avec Rabaska prise 2, le ministre et ses satrapes s’apprêtent à mettre en train un désastre agricole et environnemental — se justifiant outrageusement par le « verdissement de l’économie », action qu’on peut qualifier de onzième plaie.

« Dans un élan vengeur de destruction monstre, il déferla sur les terres cultivées et les milieux naturels de l’Est lévisien. Le territoire fut décapé ; le fleuve devint couleur rouille ; les berges se couvrirent de poissons morts ; les animaux périrent ; charognards et sauterelles prirent peur ; dépossédés, les gens s’enfuirent. » Psaumes, apocryphe début XXIe siècle

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo