Quoi attendre du gouvernement de Claudia Sheinbaum au Mexique?
Le Mexique a élu pour la première fois dimanche une femme à la tête du gouvernement. Au terme de cette élection historique où les deux candidatures favorites étaient tenues par des femmes, que peut-on attendre de la nouvelle presidenta du plus grand pays hispanophone au monde ? Une experte s’avance sur le futur sexennat de Claudia Sheinbaum.
Que compte amener Claudia Sheinbaum en tant que nouvelle cheffe du gouvernement et successeure du président sortant, Andrés Manuel López Obrador ?
Sheinbaum s’inscrit dans l’exacte ligne de son prédécesseur au Mouvement pour la régénération nationale (Morena). « Elle a même dit qu’elle n’allait pas changer d’un centimètre ou déroger ne serait-ce qu’un tout petit peu des orientations que le parti Morena a mises en place », rapporte Marie-Christine Doran, professeure titulaire à l’École d’Études politiques de l’Université d’Ottawa et directrice de l’Observatoire violence, criminalisation et démocratie.
Morena, qui se veut le parti des pauvres, a, lors du précédent mandat, haussé de 120 % le salaire minimum, qui n’avait pas été augmenté en plus de trente ans. Il a aussi doublé le pouvoir d’achat et sorti cinq millions de personnes de la pauvreté. Un gage, selon Mme Doran, du « grand succès du gouvernement sur le plan social ».
Si Morena se présente comme un parti populiste de gauche, il est toutefois conservateur sur le plan macroéconomique et il a poursuivi durant les six dernières années des politiques néolibérales.
De grands bouleversements ne sont donc pas à prévoir, juge Marie-Christine Doran, excepté sur un point : les changements climatiques.
À l’instar d’autres pays d’Amérique latine, le Mexique est actuellement aux prises avec de graves sécheresses et des difficultés d’accès à l’eau. Alors que López Obrador n’avait aucun discours quant aux questions environnementales, Sheinbaum a « amené l’idée de faire du droit à l’eau un droit humain ».
L’ex-mairesse de Mexico a assuré vouloir garantir une plus grande participation collective dans la gestion de l’or bleu. « C’est vraiment la seule chose qu’on pourrait dire qui distingue Sheinbaum de López Obrador », souligne Marie-Christine Doran.
Que peut-on attendre en matière de défense des droits des femmes au Mexique, avec une femme à la tête du pays ?
Bien qu’elle soit une femme, Claudia Sheinbaum n’est pas pour autant différente de son prédécesseur dans son approche de la défense des droits des femmes.
« Tous les deux ont discrédité les mouvements de femmes, les mouvements féministes, en les traitant comme des personnes violentes, dangereuses, qui en veulent toujours plus », rapporte Mme Doran.
Elle estime que Claudia Sheinbaum aurait tort de continuer à criminaliser ou à stigmatiser le mouvement féministe. Dix femmes sont d’ailleurs tuées chaque jour au Mexique, selon une moyenne de l’ONU pour l’année 2023.
« [Son élection], c’est une très grande avancée en termes de représentation politique des femmes, […] mais ce n’est pas une garantie que les enjeux liés aux droits des femmes vont quand même être mis de l’avant », dit la professeure.
« De voir une femme à la tête du pays, ça pourrait peut-être changer certaines mentalités, encore très loin de ce qu’elles devraient être », poursuit-elle.
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Comment la présidente compte-t-elle s’attaquer à la violence des cartels de drogue ?
Le problème au coeur de la lutte contre le narcotrafic est lié à l’impunité, selon Mme Doran, qu’elle explique par des connivences entre des agents de la paix ou des militaires et les narcotrafiquants.
Or, Morena souhaitait donner davantage de pouvoir aux autorités pour qu’elles n’aient de comptes à rendre à personne.
« Si on leur met toutes sortes d’embûches, par exemple répondre à des procès en cas de violation des droits de la personne, on va retarder leur travail et les empêcher de le faire comme il faut », précise Mme Doran au sujet de l’argument derrière cette réforme.
Jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême, cette réforme, appelée fuero militar, devrait être à nouveau proposée par Morena. « Un problème majeur », selon Mme Doran, observé dans d’autres pays d’Amérique latine, dont le Salvador.
Quel impact pourrait avoir cette élection sur les relations entre le Canada et le Mexique ?
L’ensemble des pays étaient encouragés au début du mandat de López Obrador, rappelle Marie-Christine Doran. La parité dans la représentation politique avait notamment été reconnue en 2019 au Mexique.
Néanmoins, la professeure remarque « un virage à 180 degrés » en matière d’état de droit et de violation des droits de la personne par rapport à ce qui avait été annoncé au début. Les opioïdes à l’origine de la crise dont souffrent les États-Unis, le Canada et même le Québec sont par ailleurs produits au Mexique, mentionne-t-elle.
« Je pense qu’il n’y aura pas de changement majeur pour l’instant dans la relation du Canada avec le Mexique, s’avance-t-elle. Mais certainement, il pourrait y avoir des interrogations qui se posent si les enjeux d’état de droit commencent à circuler et que la violence [augmente]. »
Une version précédente de ce texte, qui indiquait qu’une femme sur dix est tuée quotidiennement au Mexique, a été modifiée. Il s’agit plutôt de dix femmes qui sont tuées chaque jour au Mexique, selon une moyenne calculée par l’ONU pour l’année 2023.