Des remèdes contre le surtourisme
Collaboration spéciale
Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs
Comment atténuer un phénomène qui gâche à la fois l’expérience de visite des voyageurs et la qualité de vie des locaux ? Quelques stratégies mises en oeuvre ici et là.
Sans surprise, l’Homo touristicus a recommencé à voyager. Selon ONU Tourisme (nouveau nom de l’Organisation mondiale du tourisme), le nombre d’arrivées internationales mondiales est passé de 960 millions en 2022 à 1,3 milliard en 2023. Et tout indique que cette croissance se poursuivra cette année. Attention, surtourisme en vue en cette haute saison vacancière !
Pour les gens qui n’ont jamais mis les pieds à Barcelone ou à Venise en plein été, le surtourisme qualifie une situation où, en un lieu jugé attractif, il y a plus d’étrangers que de locaux au mètre carré. Cela a pour effet de gâcher la vie des uns et des autres, et n’est pas sans conséquences sur le site lui-même. Si le fait est incontestable, rappelons que les voyageurs n’en seraient pas l’unique cause… Dans un rapport publié en 2018, alors que l’Oxford English Dictionary faisait d’overtourism l’un de ses « huit mots de l’année », l’agence des Nations unies soulignait que le mythe numéro un concernant la congestion touristique est qu’elle relève seulement du nombre de visiteurs. En réalité, elle est aussi tributaire d’« une capacité à les gérer ».
Une affaire de flux
Ici et là, des mesures sont donc mises en oeuvre pour gérer les concentrations de visiteurs. L’une d’elles consiste à mieux les répartir dans l’espace et le temps. Si Frédéric Dubé, directeur général par intérim de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec, convient que la province « est davantage en situation de vitalité touristique que de surtourisme », il donne néanmoins l’exemple de Montréal. « Sa politique de “destination harmonieuse” vise une bonne cohabitation entre les résidents et les visiteurs, et entraîne ces derniers hors des circuits traditionnels », note-t-il. Il constate aussi que la promotion du tourisme hivernal, une stratégie supplémentaire de dispersion des voyageurs au Québec, a du succès, entre autres auprès des Mexicains.
Toujours afin de contingenter les affluences touristiques, des parcs et des sites où un contrôle de l’achalandage peut être exercé, comme le Machu Picchu, au Pérou, établissent maintenant des quotas de fréquentations quotidiennes. Cas de surtourisme avéré, Amsterdam fait preuve pour sa part d’originalité pour inciter ses visiteurs à explorer d’autres lieux que ses seuls quartiers centraux. « Cela commence déjà avec les noms. Ainsi, le château fort médiéval de Muiden, situé à une demi-heure de voiture, est désormais présenté comme étant l’Amsterdam Castle, et la station balnéaire de Zandvoort, l’Amsterdam Beach », fait remarquer Fabien Weber, chercheur en tourisme de la Haute École de Lucerne, dans une récente livraison du magazine suisse Horizons.
Touristes et nuisances
Qui dit surfréquentation dit aussi nuisances, telles que des détritus, des décibels et l’endommagement des sites et des équipements. Des taxes et des droits d’accès peuvent-ils les réduire ? L’avenir le montrera pour Venise, qui teste, avant sa mise en application en 2025, l’imposition de frais de visite de cinq euros aux voyageurs qui n’y logent pas. La mesure a été lancée en avril et ne concerne que certains jours, au nombre de 29, jusqu’au 14 juillet prochain.
Le 1er mai dernier, les îles de la Madeleine instauraient une redevance de 30 $ par personne, par séjour, exigible jusqu’au 14 octobre. Dans quel but ? Créer un parc régional pour la postérité, mais aussi renflouer les coffres de l’archipel, les séjours des touristes entraînant des débours, notamment pour l’exportation des ordures hors du territoire et l’entretien des infrastructures récréotouristiques. L’archipel a depuis fait un pas de côté en rendant cette contribution facultative.
Pour Marc-Antoine Vachon, titulaire de la Chaire de tourisme Transat, les taxes et les droits d’accès envoient néanmoins un message ambigu. « D’une part, on est bienvenu, pourvu qu’on paye, observe-t-il ; d’autre part, pour certains, cela peut signifier “j’ai le droit de polluer”. Ce n’est donc pas une solution magique. Et ce, bien que les îles de la Madeleine, au pouvoir d’attraction hors du commun, puissent se permettre d’exiger ces droits, d’autant plus que des flux importants de touristes exercent une grande pression sur ses ressources. »
En République tchèque, Prague a adopté une autre voie, qui entraîne une sélection naturelle de ses visiteurs. Longtemps considérée comme une destination bon marché, la capitale attirait surtout les fêtards. Constatant que cette réputation les desservait, les hôteliers ont haussé leurs tarifs de 19 % l’an dernier. La stratégie ne vaudra peut-être pas moins de voyageurs à la populaire ville, mais assurément un tourisme de meilleure qualité.
Sortir des sentiers battus, vraiment ?
Par ailleurs, s’épivarder toujours plus loin afin d’arriver avant les touristes ou encore, envahir des quartiers résidentiels, ces victimes collatérales des plateformes de location de logements, n’est peut-être pas la bonne idée escomptée. Elle n’engendre qu’une plus grande « touristification » du monde. « Aller dans un refuge en Amazonie, c’est déranger la faune et la flore qui y vivent. Et c’est aussi risquer le transfert de désagréments à des milieux qui sont encore moins bien équipés et structurés pour y faire face », affirme M. Vachon.
Si, actuellement, la question du surtourisme lui semble « insoluble », il souscrit au concept d’« utiliser davantage ce qu’on a déjà et développer activement certains sites plutôt qu’en dénaturer d’autres ». Sa pensée rejoint celle du géographe et chercheur français Rémy Knafou, auteur de Réinventer (vraiment) le tourisme. En finir avec les hypocrisies du tourisme durable (éditions du Faubourg, 2023).
Dans cet essai, M. Knafou dresse le constat que plusieurs destinations et lieux créés à des fins touristiques ne sauraient être taxés de surtourisme, puisqu’il est dans l’ordre des choses qu’ils soient très fréquentés. Ainsi, tout comme l’on prône la densification des villes pour lutter contre l’étalement urbain, M. Knafou préconise la densification de localités d’emblée touristiques pour contrer l’étalement des touristes.
Pour l’heure, les bons remèdes au surtourisme se font rares. « Nous surveillons l’implantation de solutions, mais il n’y en a pas tant que ça. En effet, souvent, elles ne passent pas la rampe, estime M. Vachon. Pour en trouver, des investissements en recherche et développement doivent être faits, et des comportements doivent changer. »
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