Les Québécois restent trop énergivores
Collaboration spéciale
Ce texte fait partie du cahier spécial Énergies
Pas un jour ne passe au Québec sans qu’on parle de transition énergétique et de changements climatiques. Pourtant, notre production et surtout de notre consommation d’énergie ont très peu évolué depuis dix ans.
En 2022, le Québec a produit 216 TWh d’électricité et en a importé une trentaine à bas prix de la centrale hydroélectrique de Churchill Falls à Terre-Neuve-et-Labrador. Cela comble amplement ses besoins actuels. Il achète aussi bien assez de pétrole et de gaz naturel pour répondre à sa demande intérieure. Il n’y a donc pas de défi énergétique à très court terme au Québec.
« Par contre, lorsque l’on tient compte de notre volonté de décarbonation et surtout de l’approche choisie pour y arriver, c’est-à-dire électrifier plutôt que réduire la consommation, là, on a de gros enjeux », souligne Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.
Avec sa collègue Johanne Whitmore, chercheuse principale de la chaire, il a rédigé le plus récent État de l’énergie au Québec. Publié en février 2024, l’ouvrage nous met une fois de plus face à nos contradictions. Malgré tous nos discours sur l’importance de la transition énergétique et notre ambition de diminuer de 40 % la consommation de produits pétroliers en 2030 par rapport à 2013, nos habitudes changent peu.
Toujours plus d’automobiles
La consommation d’essence, de diesel et d’autres produits pétroliers a presque rejoint son niveau prépandémique en 2022. Et à l’échelle canadienne, les ventes d’essence des neuf premiers mois de 2023 avaient surpassé celles de la même période l’année précédente. Le parc automobile ne cesse de croître. De 1990 à 2021, le nombre de véhicules personnels a bondi de 57 % au Québec, alors que la population n’a augmenté que de 23 %.
Certes, les ventes de voitures électriques progressent. Elles représentaient 13 % des nouveaux véhicules en 2022. Cependant, la part des ventes de VUS et autres camions à essence continue d’augmenter. Elles comptaient pour 70 % du marché en 2022, contre 24 % en 1990. Même parmi les véhicules électriques, les ventes de VUS et autres camions dépassent celles des voitures.
« Pour diminuer la consommation d’énergies fossiles, on doit réduire le parc automobile, mais ce n’est pas cela qui se produit du tout, note Johanne Whitmore. C’est comme une personne qui a le cancer et qui sait qu’elle doit arrêter de fumer pour garder un espoir de guérir, mais qui ne le fait pas. »
Elle rappelle que des transports collectifs efficaces constituent un incontournable pour lutter contre la dépendance à l’automobile, tout comme une augmentation de l’accès aux voitures partagées. Elle aimerait aussi voir des incitatifs pour favoriser ces modes de transport. « Les gouvernements subventionnent l’achat de véhicules électriques, mais il y a peu de récompenses pour les citoyens qui prennent d’autres moyens de transport que la voiture », déplore-t-elle.
Miser sur l’efficacité
Les automobiles ne sont pas les seules à souffrir d’embonpoint. Les surfaces habitables sont passées de 48 m2 par personne en 2000 à 58 m2 par personne en 2018, selon Ressources naturelles Canada. Pendant la même période, la surface de plancher occupée climatisée a crû de plus de 45 %. L’amélioration de l’efficacité énergétique, pourtant considérable, ne compense pas la hausse de la population et l’augmentation de la taille des logements.
« L’ajout de nouveaux véhicules et de surface habitée annule une grande partie des gains techniques qui rehaussent l’efficacité énergétique des bâtiments et des voitures et qui devraient, en théorie, nous permettre de réduire notre consommation », explique Pierre-Olivier Pineau.
L’État de l’énergie démontre aussi un écart important dans la consommation d’électricité entre les ménages les plus riches et les plus pauvres. Ceux dont les revenus dépassent 150 000 dollars utilisent en effet 92 % de plus d’électricité en moyenne que ceux dont les revenus plafonnent sous les 40 000 dollars.
Le secteur industriel continue quant à lui de montrer une certaine déficience du côté de l’efficacité énergétique. Près de 60 % de l’énergie consommée par ce secteur est perdue. La comparaison avec l’Allemagne présentée par la chaire laisse pantois. On trouve cinq installations certifiées pour la norme internationale de système de gestion de l’énergie (ISO 50001) au Québec, contre 5523 en Allemagne.
Nécessité fait loi, apparemment. « Dans ce pays, les coûts très élevés de l’énergie, en particulier depuis qu’il a dû réduire son approvisionnement en gaz de la Russie, motivent les entreprises à optimiser leur efficacité énergétique, ce qui n’est pas le cas au Québec, où l’énergie demeure abondante et relativement peu chère », souligne Johanne Whitmore.
Le Canada traîne aussi de la patte du côté de la productivité énergétique, c’est-à-dire la richesse créée par unité d’énergie consommée. Celle-ci a progressé de 74 % de 1971 à 2022, un taux inférieur à la moyenne mondiale de 88 % et loin derrière les États-Unis (+ 183 %) et l’Allemagne (+ 161 %).
Le mirage du remplacement
Les énergies renouvelables nous permettront-elles de réduire les répercussions environnementales de notre consommation sans diminuer celle-ci ? Pas sûr du tout. « Comme nous consommons beaucoup, nous aurons besoin de produire une énorme quantité d’énergies renouvelables pour répondre à nos besoins futurs, mais ça avance très lentement », prévient Pierre-Olivier Pineau.
Le Canada peine en effet à faire décoller des filières de carburants renouvelables liquides et gazeux. Les projets de gaz naturel renouvelable (GNR) souffrent de retards et de dépassements de coûts. Des défis se posent du côté de la biométhanisation, entre autres parce que les Québécois sous-utilisent le bac brun ou y jettent n’importe quoi. Pour alimenter ce processus, on a besoin de matières premières bien collectées, ce qui n’est pas le cas actuellement.
En 2021, les éoliennes produisaient 6 % de l’énergie primaire disponible au Québec, tout comme la biomasse, alors que le GNR n’en générait que 0,2 %. Le pétrole et le gaz naturel non renouvelable comptaient pour 48 % de notre énergie. Les émissions liées à la production, au transport et à la consommation d’énergie causent environ 70 % de toutes les émissions du Québec.
« Les solutions, comme réduire l’utilisation de l’automobile et la surface de nos résidences et augmenter notre efficacité énergétique, nous les connaissons, mais nous tardons à les déployer », rappelle Pierre-Olivier Pineau.
Des chiffres qui parlent
Chaque Québécois consomme en moyenne 250 % d’énergie de plus que la moyenne mondiale et 70 % de plus que les Allemands.
Hydro-Québec estime qu’il faudra ajouter environ 15 000 MW, soit plus d’un tiers de notre puissance actuelle, tout en réussissant à éviter de consommer 3500 MW aux heures de pointe en 2035.
Les deux tiers de l’énergie au Québec sont utilisés par l’industrie, le commerce et les institutions ; le reste l’est par les ménages (logement et transport personnel).
Source : État de l’énergie au Québec, 2024
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