Québec réformera le régime forestier
Pour s’adapter aux changements climatiques, l’industrie forestière doit en « faire plus avec moins », selon la ministre Maïté Blanchette Vézina, qui s’engage à travailler dès cet été sur une réforme du régime forestier québécois.
En entrevue avec Le Devoir jeudi, l’élue du gouvernement Legault chargée des Ressources naturelles et des Forêts a annoncé ses intentions de déposer « rapidement » un projet de loi pour moderniser la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier. Depuis 2013, celle-ci régit l’usage des récoltes et le partage des terres boisées au Québec.
« On veut avoir une forêt qui demeure résiliente face aux changements climatiques, qu’elle puisse demeurer résiliente pour les générations actuelles, mais pour les générations futures aussi », a déclaré Mme Blanchette Vézina, dont l’idée de légiférer a germé au terme des Tables de réflexion sur l’avenir de la forêt, plus tôt cette année.
Ces consultations, tenues auprès de l’industrie forestière et sylvicole, des Premières Nations, de chercheurs et de groupes environnementaux, ont permis au ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) de produire un rapport synthèse, qui sera publié ce vendredi. À l’intérieur, les constats sont clairs : il faut mieux aménager les territoires exploitables du Québec en misant par exemple sur les forêts privées, sur l’optimisation des ressources et sur des mesures d’adaptation aux changements climatiques, ont exigé une grande part des groupes consultés.
Maïté Blanchette Vézina assure que ces recommandations ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. L’élue caquiste, qui a aussi proposé ce printemps une modernisation de la Loi sur les mines, s’en inspirera dans l’élaboration du nouveau cadre législatif régissant les forêts.
« Je veux m’assurer qu’on fasse une bonne analyse. On va prévoir, cet été, faire cette analyse, a-t-elle dit. Je ne donnerai pas d’échéancier précis, mais sachez que j’ai la volonté de faire les choses le plus rapidement possible. »
Sans révéler le contenu de son projet de loi, la ministre des Forêts laisse présager une plus grande flexibilité pour l’industrie dans l’aménagement des terres boisées. « La loi nous dit en ce moment qu’on doit avoir un aménagement qui est écosystémique. Et ça, ça oblige à reboiser avec les essences qui sont présentes », a-t-elle constaté.
« Sur la Côte-Nord, par exemple, on a une très grande majorité de conifères. Ça force à reboiser avec du conifère. Mais les conifères sont beaucoup plus vulnérables face aux feux de forêt. Donc, il y a moyen d’ajuster les essences, de faire une sylviculture d’adaptation », a-t-elle exemplifié.
« Plus avec moins »
Après une année 2023 marquée par les incendies forestiers — 4,3 millions d’hectares de forêt rasés, selon la Société de protection des forêts contre le feu —, un agrandissement des secteurs cultivables est difficilement envisageable, selon la ministre. Elle plaide plutôt pour une « augmentation de la productivité par hectare ».
« L’objectif, c’est d’en faire plus avec moins. On a des cibles de protection de biodiversité, de protection du territoire qu’on souhaite atteindre comme gouvernement », a-t-elle rappelé, jeudi.
Dans son mémoire déposé cette année dans le cadre des consultations gouvernementales, le Centre d’étude de la forêt, qui regroupe 80 experts en provenance d’une dizaine d’universités québécoises, avait suggéré de « développer sur des portions définies et limitées du territoire, à proximité des secteurs habités et des usines de transformation, un […] aménagement intensif » des forêts. Une idée qu’accueille avec intérêt la ministre.
« Cela fait partie des solutions qui sont envisagées », a-t-elle dit.
Dans son rapport synthèse des consultations sur l’avenir de la forêt, le MRNF constate d’importantes dissensions sur une potentielle « intensification » de la production forestière à l’intérieur des terres publiques. « Certains sont très favorables à cette approche, alors que d’autres sont complètement défavorables », peut-on y lire.
Selon Mme Blanchette Vézina, une partie de la solution pourrait donc résider dans une augmentation de la production en forêt privée, qui représente environ 8 % du territoire forestier au Québec. « [On pourrait] avoir un environnement d’affaires de la forêt privée qui soit plus facilitant, aussi, pour approvisionner les usines », a-t-elle dit, laissant miroiter des effets « positifs » pour l’industrie.
La réouverture de la Loi sur l’aménagement durable des forêts sera également l’occasion de « repenser le réseau de chemins multiusages ». Ces passages, tracés à même les forêts publiques, sont devenus un fléau pour les hardes de caribous forestiers encore en liberté parce qu’ils facilitent le passage des prédateurs, ont fait remarquer plusieurs groupes lors des Tables de réflexion. Ces derniers plaident d’ailleurs pour la fermeture des chemins inutilisés « dans un contexte de restauration de certains habitats fauniques ».
Une réforme inévitable, selon Québec
Mme Blanchette Vézina ne passe pas par quatre chemins : une mise à jour des lois encadrant l’utilisation de la forêt est indispensable. Sans révision du régime, « ce que les scientifiques nous disent, c’est qu’il y aurait une recrudescence des feux, des aléas en lien avec les insectes, qui peuvent survenir et avoir des effets néfastes sur la santé de nos forêts », a-t-elle souligné, jeudi.
À long terme, ces bouleversements auraient des effets négatifs pour tous, même l’industrie, selon elle.
« Moi, je vois poindre des baisses de possibilité forestière », a ajouté la ministre. « On veut vraiment que nos forêts s’adaptent aux changements climatiques, et je pense qu’il y a de vraies craintes si on ne fait pas ces changements. »