Quand la parfaite locataire est plongée dans la détresse

Catherine Gagnon, une locataire qui a eu la chance de retrouver son ancien appartement au coeur du Plateau-Mont-Royal, pour un prix abordable.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Catherine Gagnon, une locataire qui a eu la chance de retrouver son ancien appartement au coeur du Plateau-Mont-Royal, pour un prix abordable.

Êtes-vous bien chez vous ? Ou rêvez-vous de déménager ? En pleine crise du logement, Le Devoir a fait appel aux récits de lecteurs, qui seront publiés au cours de l’été. Épuisée par sa quête de logement, une enseignante a dû recourir au système D pour trouver un toit.

Catherine Gagnon a vécu « un des plus gros stress » de sa vie au début de l’année : la recherche d’un logement à Montréal. Cette enseignante en francisation a épluché les annonces durant des semaines. Elle a visité une dizaine d’appartements. Tous trop chers. Mal situés. Ou carrément « dégueulasses », insalubres ou avec des trous dans les murs.

Quand elle trouvait un logement convenable, il venait d’être loué à quelqu’un d’autre. Elle a vu des dizaines de personnes faire la file devant un appartement à louer. La crise du logement dans toute sa splendeur.

Pour un propriétaire, elle a pourtant le profil de la parfaite locataire : jeune professionnelle sans enfants, sans animaux et avec des références.

Dans sa quête d’un toit, Catherine Gagnon avait même adopté une stratégie pour attirer l’attention. Elle avait préparé une carte personnalisée qu’elle remettait à la personne qui faisait les visites : « Merci de m’avoir accueillie chez vous aujourd’hui. Je suis calme et respectueuse, etc. »

Elle a vite compris que sa grande séduction ne donnait rien. Une part importante des visites étaient organisées par des agences de location au service de grandes entreprises d’immobilier. Aucun contact humain, aucune émotion ne pouvait influencer la décision de louer à telle ou à telle autre personne. Dans ce monde où des groupes d’investisseurs possèdent des « portes » (comme ils disent dans leur jargon), la location d’un logement n’est rien d’autre qu’une transaction financière.

À bout de ressources, Catherine Gagnon a même fait affaire avec un agent d’immeuble pour l’aider dans ses recherches. « Ça m’a fait du bien d’avoir quelqu’un à qui parler. Il y a des moments où je vivais de la vraie détresse psychologique. Tu ne sais pas si tu vas trouver un endroit où rester. »

Elle précise qu’elle n’est pas à plaindre. Elle gagne bien sa vie en tant que prof, mais elle a réduit son temps de travail — et son salaire — de 30 % pour faire un doctorat en éducation. Dans un monde idéal, elle aimerait bien avoir les moyens de sortir, d’aller au resto et de s’acheter un vélo après avoir payé le loyer.

La belle histoire

Il y a quand même une bonne nouvelle dans cette histoire : l’enseignante a fini par trouver le logement idéal. À un coût nettement inférieur aux prix courants. Mais comme bien des locataires, elle a dû recourir au système D, faire aller ses contacts et miser sur la chance pour avoir un toit au-dessus de la tête.

En désespoir de cause, Catherine Gagnon avait appelé le propriétaire d’un de ses anciens appartements, avenue De Lorimier, au coeur du Plateau-Mont-Royal. Mais il n’avait rien pour elle. Elle a donc signé un bail pour un quatre et demi à 1500 $ par mois sur le boulevard Saint-Joseph, toujours sur le Plateau. Dans l’état actuel du marché, c’était quasiment correct, comme loyer.

Peu après, coup de théâtre : son ancien propriétaire l’informe qu’un logement se libère dans l’immeuble où elle a habité au début de sa carrière d’enseignante, entre les années 2008 et 2013. Mieux encore, c’est le même appartement, au dernier étage d’un triplex, qu’elle avait adoré.

« Quand je suis revenue, j’ai tout de suite eu un coup de coeur. Je n’avais pas l’impression de revenir en arrière, mais l’impression de revenir chez moi », dit Catherine Gagnon, qu’on rencontre dans son havre de paix (elle a fait annuler le bail du logement à 1500 $ qu’elle avait signé auparavant).

Proprio au grand coeur

Ah oui, autre détail : son ancien nouvel appartement lui coûte 750 $ par mois. Le propriétaire, Christian Lessard, affirme qu’il « n’a pas besoin de plus ». Il augmente ses loyers chaque année de façon graduelle. « J’ai acheté mon triplex il y a 39 ans. Ce n’était pas cher à l’époque, je l’ai payé en sept ans. Je n’ai pas d’hypothèque, ça change tout », dit-il.

Le retraité est triste d’avoir vu des voisins se faire évincer de leur logement au cours des dernières années, dont une famille qui vivait au même endroit depuis des décennies, par des propriétaires sans scrupule.

Christian Lessard est aussi heureux d’avoir retrouvé une locataire en or. « Ça me stressait beaucoup de passer une annonce pour trouver un locataire. Il y a un risque de se tromper. Et je reçois chaque fois 100, 125, 150 appels. C’est terrible. »

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Catherine Gagnon ne tarit pas d’éloges envers ce propriétaire au grand coeur. Son logement la rend heureuse. « C’est petit, c’est un peu tout croche, c’est beau, c’est chez moi. Grâce à ce propriétaire capitaliste socialiste ! »

La valeur d’un refuge

La lumière du jour entre par les deux grandes fenêtres en façade. L’endroit est chaleureux. La locataire adore le plancher de bois franc, les boiseries, le cachet typiquement montréalais. Et le mont Royal, ce trésor, est tout près.

Un bel essai traîne sur la table de la salle à manger : Chez soi, de la journaliste française Mona Chollet, publié en 2016. La crise du logement et les tensions sociales grandissantes renforcent la valeur du chez-soi en tant que refuge, fait valoir l’autrice.

Photo: Adil Boukind Le Devoir L’essai «Chez soi» de la journaliste française Mona Chollet

« Le foyer, un lieu de repli frileux où l’on s’avachit devant la télévision en pyjama informe ? Sans doute. Mais aussi, dans une époque dure et désorientée, une base arrière où l’on peut se protéger, refaire ses forces, se souvenir de ses désirs. Dans l’ardeur que l’on met à se blottir chez soi ou à rêver de l’habitation idéale s’exprime ce qu’il nous reste de vitalité, de foi en l’avenir », écrit-elle.

Catherine Gagnon est d’accord avec ce constat. Mais elle souligne que son corollaire — l’impossibilité pour certains de se loger dignement — amplifie la détresse sociale. « Mon amie répète sans cesse qu’il faut arrêter de dire que 750 $ par mois pour un logement, c’est une aubaine. C’est le juste prix. Se loger, c’est un droit, pas un luxe », affirme-t-elle.

« Je suis blanche, j’ai un bon emploi et j’ai eu de la misère à trouver un logement. Imaginez des familles immigrantes qui viennent d’arriver ici », s’indigne l’enseignante.

Elle se demande pourquoi les locataires à bout de souffle ne sortent pas manifester dans la rue. Peut-être qu’ils n’ont pas le temps, qu’ils sont trop occupés à travailler jour et nuit pour survivre. Puis elle réfléchit à voix haute à son avenir. Que se passerait-il si son propriétaire décidait de vendre l’immeuble ? L’anxiété monte en elle. Peut-être qu’elle pourrait s’associer avec des amis pour l’acquérir. Et éviter de subir à nouveau un des « plus gros stress » de sa vie…

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