À qui profite la folle envolée des prix du cacao?

Détail de fèves de cacao séchées au soleil à Asikasu, une ville de la région orientale du Ghana, le 19 décembre 2020.
Photo: Cristina Aldehuela Archives Agence France-Presse Détail de fèves de cacao séchées au soleil à Asikasu, une ville de la région orientale du Ghana, le 19 décembre 2020.

La flambée des prix du cacao sur les marchés financiers donne des frissons à toute la filière, mais profite de manière inégale aux planteurs de cacaoyers, aux transformateurs de fèves, aux spéculateurs ou aux chocolatiers.

Les cours ont explosé en mars à plus de 10 000 dollars la tonne à New York après une mauvaise récolte en Afrique de l’Ouest, due à la combinaison de conditions climatiques défavorables et de maladies dévastatrices dans des plantations vieillissantes. Ils sont depuis redescendus mais restent trois fois plus élevés que l’an dernier.

Grands écarts chez les producteurs

En Côte d’Ivoire et au Ghana, les plus gros producteurs mondiaux de cacao, les prix sont fixés par les autorités en octobre « sur la base des prix des mois précédents », mais les récoltes « sont alors déjà en grande partie prévendues », explique Tancrède Voituriez, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Cela réduit l’impact des fluctuations des cours — à la hausse comme à la baisse. Les petits producteurs, qui gagnent généralement à peine de quoi vivre, n’ont donc pas profité immédiatement de la flambée.

Les autorités ont quand même relevé en avril le prix de la récolte intermédiaire de 50 %, entre 2300 et 2500 dollars la tonne payée au producteur.

Dans d’autres pays où le système est libéralisé, comme le Cameroun, le Nigeria, l’Équateur ou le Brésil, les producteurs en ont davantage profité, vendant leurs fèves à des acheteurs prêts à s’approcher des prix des marchés financiers.

Mais attention au retour de bâton. « La flambée des prix a rendu cette production plus attractive », explique à l’AFP David Gonzales, coordinateur de la Chambre péruvienne du café et du cacao. Au risque d’une offre excédentaire d’ici 3 à 5 ans, le temps pour de nouveaux arbres de grandir, et d’une retombée brutale des cours.

Les intermédiaires à l’affût

Les grands transformateurs qui broient les fèves en beurre, liqueur ou poudre (le suisse Barry Callebaut, l’américain Cargill, le singapourien Olam) ont généralement négocié une grande partie de leur approvisionnement en avance. Mais certains contrats n’ont pas été honorés, les forçant à trouver des fèves en urgence au prix fort, et parfois à ralentir leurs usines.

Barry Callebaut a indiqué début avril avoir puisé plus qu’habituellement dans sa trésorerie pour financer ses achats mais avoir suffisamment de cacao à disposition pour répondre à la demande.

D’autres intermédiaires plus petits pourraient avoir du mal à avancer les fonds nécessaires pour s’adapter au nouvel environnement.

« Des contrebandiers peuvent probablement se frotter les mains » en achetant légèrement au-dessus des prix fixes en Côte d’Ivoire et au Ghana et en revendant aux cours du marché depuis le Togo, la Guinée, le Liberia ou la Sierra Leone, remarque Steve Wateridge, du cabinet Tropical Research Services.

Fortunes diverses sur les marchés

Si les cours du cacao ont bondi, c’est parce que l’offre est inférieure à la demande pour la troisième année consécutive, selon l’Organisation internationale du cacao. Des fonds d’investissement ont senti le vent venir et ont parié sur une hausse des prix, en retirant des bénéfices au passage.

Mais à partir de janvier, les cours sont devenus très erratiques, même pour des fonds spéculateurs, et beaucoup se sont retirés des marchés : le nombre de contrats échangés a chuté de 334 000 mi-janvier à 146 000 en avril, explique Ole Hansen de Saxo Bank. « On ne peut pas accuser les spéculateurs d’avoir artificiellement gonflé les prix », affirme Steve Wateridge.

Les maisons de négoce et chocolatiers de leur côté se protègent habituellement des revirements de prix en pariant sur la tendance inverse sur les marchés financiers, en l’occurrence en misant sur une baisse. Certains ont dû, avec la flambée, déposer auprès de leurs banquiers des fonds supplémentaires pour couvrir leurs pertes potentielles. D’autres ont dû abandonner leurs paris, ce qui techniquement les oblige à racheter des contrats sur le marché, et fait mécaniquement monter les prix.

Les chocolatiers s’adaptent

Au vu du décalage dans le temps entre l’achat de la matière première et la production, le coût des tablettes et biscuits chocolatés actuellement dans les rayons ne devrait théoriquement pas avoir flambé pour les géants du secteur Mars, Mondelez, Nestlé, Hershey’s et Ferrero.

« Nous sommes amplement couverts par nos contrats à venir pour le reste de l’année », a confirmé le patron de Nestlé, Ulf Schneider, en avril.

Cela devrait évoluer au fil des mois. Pour éviter de rebuter les consommateurs déjà essorés par l’inflation, les industriels pourraient augmenter la proportion de noisettes ou réduire les portions.

Même chez les chocolatiers artisans et franchisés, la matière première ne représente qu’une petite partie du produit fini, sur lequel « il y a beaucoup de marge », estime Sébastien Langlois, cofondateur de la Société française du cacao. Son entreprise, qui vend des produits bios et équitables, n’a pour l’instant pas augmenté ses prix, assure-t-il.

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