«Portraits et mode»: Le Québec en vogue
Rihanna, Zinedine Zidane, Ève Salvail, Charlotte Cardin, Nelson Mandela, Joaquin Phoenix, Xavier Dolan, Joni Mitchell, Hubert Lenoir ou encore une campagne pour Lecavalier, la liste est aussi impressionnante que démesurée. Les quelque 270 photographies de célébrités qui habillent les murs du Musée McCord Stewart en ce moment ont toutes un point commun : elles ont été prises par des Québécois. L’exposition Portraits et mode. Photographes du Québec au-delà des frontières leur rend ainsi hommage en mettant en lumière leur travail, qui séduit les plus grands magazines de mode à l’échelle internationale.
« En fouillant un peu, je me suis rendu compte que le Québec a un bassin de photographes assez extraordinaire dont on ne se doute pas qu’ils font les couvertures de Vogue ou un tour book pour Mika », explique le commissaire de l’exposition, Thierry-Maxime Loriot, notamment connu pour Thierry Mugler. Couturissime. Puisque personne autour de lui n’était capable de citer ne serait-ce qu’un nom de photographe québécois, celui-ci a eu l’idée de Portraits et mode.
Monic Richard, par exemple, fait partie des dix-sept photographes dont l’oeuvre est présentée dans l’exposition. « Elle est vraiment la pionnière en photographie de mode au Québec, c’est notre Annie Leibovitz locale », lance avec enthousiasme Thierry-Maxime Loriot. On apprend à ce propos dans l’exposition que Monic Richard a réalisé la photographie sur la pochette de l’un des plus grands succès mondiaux de la chanson francophone, le mythique album D’eux de Céline Dion. « Personne ne sait que c’est une femme qui a photographié une femme », note-t-il. Et, surtout, personne ne sait que c’est une Québécoise qui a photographié une Québécoise.
De fait, Portraits et mode est une vraie surprise. « Même Norman Jean Roy, qui a déjà fait beaucoup de unes pour Vanity Fair, comme récemment avec Greta Gerwig et Anne Hathaway, et Vogue, avec Nicki Minaj encore le mois dernier… Personne ne sait qu’il vient de Mont-Saint-Hilaire ! » soulève le commissaire. Grâce à l’échantillon de photographes qu’il a sélectionnés, Thierry-Maxime Loriot veut montrer que, au-delà de l’aspect commercial, il existe un véritable travail — qu’il soit éditorial, de portraitiste, etc. « La force des artistes de l’exposition, c’est qu’ils ont tous quelque chose de spécial, un regard qui ne s’apprend pas dans les livres et une signature visuelle très puissante », dit-il.
Justement, Alex Black en fait partie. Après des études en marketing à Concordia, la Montréalaise décide de faire de sa passion pour la photo son métier. « J’ai suivi quelques cours par-ci, par-là, mais je n’ai pas de diplôme. J’ai beaucoup appris sur YouTube », confie cette autodidacte. Celle qui s’est fait approcher par Vogue U.S. et Vogue Corée — « sûrement grâce à mes publications Instagram », dit-elle — et qui compte des collaborations avec Ssence et Document Journal décrit une pratique personnelle essai-erreur avec un côté expérimental, où se tutoient les couleurs, le noir et blanc, l’analogique et le numérique. « Montréal, une ville assez internationale avec le français dans l’esprit nord-américain, a énormément influencé mon travail en matière de référence et d’esthétique — très punk et DIY », précise l’artiste. Thierry-Maxime Loriot est du même avis. « Ici, il y a une créativité exceptionnelle qui laisse les photographes explorer différents espaces sans être restreints, contrairement à Paris ou à New York où tout est catégorisé », croit-il.
À la croisée des chemins
« C’est sûr que, quand on parle de photo de mode, il faut vendre un produit, mais il faut aussi créer un univers tout autour et trouver un langage visuel qui raconte l’histoire d’une marque », fait remarquer Alex Black, désormais basée à Paris. C’est donc à partir de mots clés que la photographe commence son processus de création. « J’ai ensuite des images qui me viennent en tête pour pouvoir communiquer de manière visuelle. » Le résultat peut difficilement ne pas interpeller le spectateur, en témoignent ses photographies ultraléchées retenues pour Portraits et mode.
Selon elle, une bonne photo de mode est ainsi capable de vendre et d’attirer l’attention, de sortir du lot et, particulièrement, de sortir du contexte de la mode. « Pour moi, il y a vraiment des éléments artistiques qui entrent en jeu », estime-t-elle. Et de poursuivre : « Il y a le côté business de la mode, c’est sûr, mais ça reste une expression artistique. » Parfois, elle qui avoue avoir toujours été fascinée par la mode et les vêtements, qui lui permettent de se réinventer, se sent comme un outil pour le client. « Mais parfois, on me laisse aussi beaucoup d’espace pour créer », se plaît-elle à raconter.
Portraits et mode est, en définitive, une célébration où la société québécoise est invitée à reconnaître ses talents et son patrimoine culturel. « On veut montrer que c’est possible d’avoir son propre style et une carrière au-delà des frontières, d’où le titre de l’exposition », souligne le commissaire. Et encourager la jeune génération à poursuivre son travail. « La photographie de mode québécoise est une richesse que les gens sous-estiment, parce que les gens ne peuvent s’identifier qu’à ce qu’ils connaissent », conclut Thierry-Maxime Loriot.