Portrait sans concession d’une jeunesse identitaire française
Un coup de semonce ? Pire, une déflagration. En annonçant, à la quasi-surprise générale, la dissolution de l’Assemblée nationale, à la suite des élections européennes du 9 juin, dont est ressorti victorieux le Rassemblement national (RN), le président Emmanuel Macron a profondément bouleversé l’échiquier politique français.
Du même coup, le chef de l’État a entraîné la France dans de nouvelles élections législatives anticipées ultra-polarisées, rarement vues dans le paysage politique de l’Hexagone. Les électeurs pourraient ainsi donner les clés du pouvoir au parti d’extrême droite de Marine Le Pen, une première dans l’histoire moderne depuis le régime pétainiste de Vichy des années 1940.
« À l’heure où l’on se parle, le Rassemblement national [RN] n’aura jamais été aussi proche de remporter les législatives », lancent Marylou Magal et Nicolas Massol. Les deux journalistes français sont les reporters spécialistes chargés de couvrir la fachosphère pour l’hebdomadaire L’Express et le quotidien Libération. Ils viennent d’ailleurs de publier le livre L’extrême droite, nouvelle génération, les conclusions d’une enquête édifiante menée sur plus de deux ans au coeur de ce qu’ils nomment la « jeunesse identitaire » qui penche de plus en plus vers les extrêmes.
Qu’ils soient cadres du RN, membres du parti Reconquête d’Éric Zemmour, partisans des Républicains (LR) — le principal parti de droite en France — ou adhérents de groupuscules radicaux parfois violents, les membres de cette faune conservatrice et xénophobe sont liés par une même lubie : celle de l’identité. Parmi cette nouvelle génération de figures extrémistes, les enquêteurs distinguent des piliers, comme Jordan Bardella, Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen, Sarah Knafo, Geoffroy Lejeune ou Stanislas Rigault. Tout ce petit monde hétéroclite aux dents longues partage, depuis plus de dix ans, soirées, réunions et corpus idéologiques formant une nébuleuse tentaculaire en plein essor.
« Le fait qu’Éric Ciotti, président des LR, n’ait pas hésité à faire un pacte avec le RN quelques jours seulement après la dissolution démontre la porosité manifeste entre les idées de la droite et celles de l’extrême droite », souligne Nicolas Massol.
Malgré des désaccords « secondaires » en matière d’économie ou de projets sociaux, ils possèdent un point commun : ils se retrouvent tous dans une lutte contre l’islamisation supposée de la France, analyse Marylou Magal. « C’est une génération de politiciens qui est complètement étrangère à la culture du cordon sanitaire entre la droite et l’extrême droite. Ils n’ont pas connu l’époque de Jean-Marie Le Pen placardisé comme le diable de la République. Ils n’ont plus les réticences que pouvaient avoir leurs parents à s’affirmer ouvertement d’extrême droite ou à s’allier avec elle. Ce qui compte pour eux, c’est le combat contre l’islam et l’immigration. »
Faire du neuf avec du vieux
Le RN est le descendant direct du Front national, fondé par Jean-Marie Le Pen, rappellent les journalistes. Celui-ci — connu pour ses nombreux dérapages racistes et antisémites — connaîtra son jour de gloire en 2002 lorsqu’il se qualifiera au second tour de l’élection présidentielle face à Jacques Chirac.
Mais c’est Marine Le Pen, fille de Jean-Marie Le Pen, qui offre une nouvelle impulsion à la formation d’extrême droite, qu’elle a renommée Rassemblement national dans un souci de dédiabolisation. Elle renouvelle une partie de la vieille garde avec des visages plus jeunes, à l’image de Jordan Bardella, qui a rejoint le parti en 2012. À seulement 28 ans, ce dernier, véritable étoile montante du parti, est la vitrine d’une nouvelle génération de cadres qui forme les rangs de l’extrême droite française. « Avec lui, le RN s’est construit une nouvelle virginité parvenant à recruter des jeunes de droite qui n’hésitent plus à s’investir dans le parti d’extrême droite. Les idées radicales qu’il véhicule n’ont pas changé, mais il y a eu une droitisation et une extrême droitisation de la société française qui a accompagné son ascension. »
Selon les journalistes, Bardella est un pur produit du Front national (il prend sa carte du parti dès l’âge de 16 ans) et est nourri idéologiquement par des éléments radicaux. « Il faut savoir que, dans son entourage, il y a des jeunes issus de La Cocarde, qui est un syndicat étudiant d’extrême droite saturé par la pensée de la Nouvelle Droite, une mouvance nazifiante [née en France à la fin des années 1960] qui pense qu’une société multiculturelle est une société source de multiples conflits. »
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Pour Marylou Magal, l’alliance stratégique des droites chez les jeunes militants mijotait depuis plusieurs années déjà, mais elle pense qu’elle s’est véritablement concrétisée à partir de « La Manif pour tous », manifestations en 2013 contre la légalisation du mariage gai.
« C’est, selon nous, le moment déclencheur. Les appareils politiques de l’UMP et du Front national [devenus LR et RN] étaient jusqu’ici demeurés assez hermétiques. Mais ils vont se rencontrer dans les cortèges, ce qui va parfois créer des liens très forts entre leurs dirigeants. Cet écosystème se côtoie, se connaît et pense la même chose. Ils vont ainsi réaliser, au fil des défilés, qu’ils partagent ensemble de fortes similitudes. C’est à partir de là qu’ils vont mettre en place des initiatives communes. »
Cette génération, comparée aux anciennes, est tout aussi radicale, mais beaucoup moins marginale, ajoutent les enquêteurs. Ils affirment que la montée des idées d’extrême droite au sein de la société française s’est traduite par la naissance d’un environnement médiatique réactionnaire de grande ampleur fondé par Vincent Bolloré, milliardaire conservateur et fervent catholique.
« Avec la chaîne CNews ou la radio Europe 1, le RN profite d’une audience beaucoup plus forte qu’elle ne l’était précédemment. Ses idées ont été décloisonnées grâce notamment aux discours d’un polémiste comme Éric Zemmour, qui a été le premier à défricher la doctrine identitaire avant de se lancer lui-même en politique », souligne Nicolas Massol.
Aujourd’hui galvanisé par des intentions de vote élevées au pinacle, le RN espère décrocher d’ici quelques semaines une majorité à l’Assemblée nationale, propulsant son dirigeant, Jordan Bardella, comme premier ministre. « Contrairement aux anciens dirigeants qui ne pensaient pas un jour atteindre les plus hautes fonctions de l’État, lui semble très ambitieux. Il se prépare bel et bien à exercer le pouvoir. On n’a pas de boule de cristal, mais il se peut que le RN remporte cette fois la mise. » Réponse, le 7 juillet prochain.