La politisation de la Cour suprême américaine éclate au grand jour en pleine année électorale
La Cour suprême des États-Unis à majorité conservatrice a conclu sa session annuelle par une décision hautement controversée sur l’immunité présidentielle, au coeur d’une campagne électorale perçue par les progressistes comme décisive pour la démocratie américaine.
Les décisions des derniers jours feront date. Sur le champ de l’immunité présidentielle comme sur la liberté d’action des agences fédérales, la rupture a été saluée par les parlementaires républicains comme « le début de la fin de la bureaucratie ».
La Cour s’est divisée sur chacun de ces dossiers selon des lignes idéologiques : les six juges conservateurs contre les trois progressistes.
De toutes les décisions de la session, l’ultime, lundi, reconnaissant au président une large immunité pénale, « est vraiment vertigineuse », affirme à l’AFP Steven Schwinn, professeur de droit constitutionnel à l’Université de l’Illinois à Chicago.
Il s’agit d’un éclatant succès pour le candidat républicain Donald Trump face au président démocrate Joe Biden, puisque cet arrêt reporte encore son procès fédéral pour tentatives illégales d’inverser les résultats de l’élection de 2020 et compromet certaines autres poursuites contre lui.
« Profondément politisée »
« Que la décision ait été rendue sur des lignes purement partisanes ne fait que souligner ce que constatent tous les observateurs, à savoir que cette Cour est profondément politisée », remarque Steven Schwinn.
« Elle apparaît aux constitutionnalistes et, de plus en plus à l’opinion publique, comme une autre institution politique qui prend non pas des décisions juridiques, mais des décisions politiques », ajoute-t-il.
« Les membres conservateurs de la Cour sont parfaitement désireux d’utiliser leur pouvoir politique et leur supériorité numérique pour imposer des changements constitutionnels et législatifs qui sont depuis longtemps à l’agenda des milieux conservateurs », conclut-il.
Sur les questions de société les plus sensibles comme le droit à l’avortement ou le port d’arme, la Cour a cependant rendu des arrêts plus consensuels que ses spectaculaires revirements de jurisprudence de juin 2022.
Mais dans un sondage de l’université Quinnipiac publié il y a une semaine, près de deux tiers des personnes interrogées (63 %) estiment que les décisions de la Cour suprême sont principalement motivées par des considérations politiques, contre moins d’un tiers (32 %) pour qui elles le sont d’abord par des considérations juridiques.
Une majorité (54 %, contre 37 % de l’avis opposé) désapprouve la façon dont elle s’acquitte de sa mission.
« Conçue pour être impopulaire »
« La Cour avait déjà un gros problème d’image avant cette session à cause des scandales impliquant [les juges Samuel] Alito et [Clarence] Thomas », rappelle Asha Rangappa, ex-agente du FBI, la police fédérale américaine, et professeure de droit à l’Université de Yale.
Les deux hommes, les membres les plus conservateurs de la Cour, ont été montrés du doigt pour les largesses dont ils ont bénéficié de la part de milliardaires républicains, y compris sous la forme de voyages ou de séjours, et l’activisme politique, côté républicain, de leurs épouses.
« Mais avec ces décisions, il est difficile d’échapper à la conclusion que les juges habillent d’un raisonnement juridique le résultat recherché dès le départ » pour des motifs plus politiques, poursuit Asha Rangappa.
En revanche, pour le professeur de droit conservateur Jonathan Turley, les détracteurs les plus virulents de la Cour suprême, commentateurs comme responsables politiques, croient à tort que « la justice est un simple prolongement de la politique et soumise aux caprices de la majorité ».
« La Cour suprême a été conçue pour être impopulaire, pour prendre des positions politiquement impopulaires mais constitutionnellement justes », écrit-il dans une tribune publiée par le New York Post, qualifiant sa décision sur l’immunité présidentielle d’« équilibrée ».
Le spécialiste de droit électoral Richard Hasen reproche pour sa part au président de la Cour, John Roberts, d’avoir par cet arrêt, destiné à prévenir de futures poursuites abusives contre le chef de l’exécutif, « passé par pertes et profits une menace actuelle contre la démocratie ».
« Ces juges se focalisent sur un problème abstrait qui pourrait se poser aux pouvoirs présidentiels en 2072 ou en 2114 », écrit-il sur le site Slate. « Et non pas sur les problèmes auxquels les États-Unis sont confrontés aujourd’hui en raison de la tentative de subversion de l’élection par Donald Trump et ses alliés en 2020. »