La santé palestinienne sous occupation

Des enfants palestiniens souffrant de malnutrition ou de maladies chroniques attendaient à l’hôpital Nasser de Khan Yunis, le 24 juin, après avoir reçu l’autorisation de l’armée israélienne de quitter la bande de Gaza pour se faire soigner.
Photo: Bashar Taleb Agence France-Presse Des enfants palestiniens souffrant de malnutrition ou de maladies chroniques attendaient à l’hôpital Nasser de Khan Yunis, le 24 juin, après avoir reçu l’autorisation de l’armée israélienne de quitter la bande de Gaza pour se faire soigner.

Le 29 juin marquait le sixième anniversaire du « Cadre de référence sur l’accompagnement parental » lancé par Évacuations aéromédicales du Québec (EVAQ) pour mettre fin à la pratique de non-accompagnement qui interdisait depuis des décennies qu’un parent accompagne son enfant lors d’un transfert d’urgence dans l’avion-hôpital de l’EVAQ. J’ai été porte-parole de la campagne #TiensMaMain, lancée le 24 janvier 2018 pour dénoncer le transfert chaque année de centaines d’enfants non accompagnés malades ou blessés, vivant en milieu rural et isolé, vers des hôpitaux pédiatriques à Montréal ou à Québec. Lors de mes deux témoignages à la commission Viens, j’ai expliqué comment la règle de non-accompagnement touchait disproportionnellement les communautés autochtones dans le nord du Québec, en particulier les Cris (Eeyou) et les Inuits.

À la suite du succès de la campagne #TiensMaMain, une nouvelle politique de soins centrée sur la famille a été mise en oeuvre durant l’été 2018. Au même moment, la journaliste israélienne primée Amira Hass signait un reportage dans Haaretz qui avait attiré mon attention : après plusieurs mois et au moins deux rendez-vous manqués, et à la suite de l’intervention de Physicians for Human Rights en Israël, une mère gazaouie, Hanan al-Khoudari, a enfin été autorisée par Israël à accompagner Louay, son enfant de trois ans souffrant d’un sarcome agressif, pour une chimiothérapie et d’autres traitements en Cisjordanie, à l’hôpital de l’Université nationale An-Najah à Naplouse. Jusque-là, ses demandes d’accompagner son bambin avaient été refusées pour des raisons de « sécurité ».

Un an plus tard, les journalistes israéliens Gideon Levy et Alex Levac rapportaient l’histoire d’enfants de la bande de Gaza admis au service de cancérologie pédiatrique de l’hôpital An-Najah, la grande majorité sans leurs parents. En relatant l’histoire de Miral Abu Amsha, une fillette de 10 ans traitée pour une leucémie, les journalistes faisaient écho aux problèmes soulevés lors de la campagne #TiensMaMain, notamment l’enfer vécu par ses parents « de ne pas être à ses côtés, de ne pas la prendre dans leurs bras, de ne pas la caresser, de ne pas s’occuper d’elle dans sa souffrance ». Les journalistes ont décrit l’atmosphère de détresse et d’impuissance ressentie dans les chambres de ces enfants comme étant insoutenable : selon eux, « un portrait de l’essence du mal israélien ».

Ces cas ne sont pas anecdotiques. Ils sont le produit du régime israélien de permis, déjà qualifié d’« arbitraire » par l’Organisation mondiale de la santé, qui rapportait dans un rapport publié en 2023 que, pour la période 2019-2021, 32 % des enfants disposant d’un permis approuvé pour sortir de la bande de Gaza, même pour aller en Cisjordanie, n’avaient pas de parent autorisé à les accompagner, ce qui signifie qu’ils devaient voyager avec un autre adulte ou qu’ils ne pouvaient accéder aux soins de santé nécessaires. Dans la plupart des cas, les retards ou les refus de permis ne sont pas expliqués, ce qui indique un manque de transparence et de procédure régulière.

« Apartheid médical »

Selon Save the Children, les demandes de permis pour près de 400 enfants de Gaza qui devaient se rendre en Cisjordanie pour y recevoir des soins de santé urgents au cours des six premiers mois de 2023 ont été soit ignorées, soit refusées. L’ONG mentionne que des enfants sont même morts de maladies telles que la leucémie ou de malformations cardiaques congénitales en 2022 faute d’avoir reçu un permis de sortie à temps pour subir une chirurgie vitale ou avoir accès à des médicaments urgents.

En amont de ces injustices se trouve le siège israélien imposé à Gaza depuis 2007, qui restreint sévèrement l’entrée de matériel médical et de médicaments dans ce secteur, empêchant ainsi le système de santé gazaoui d’offrir des soins nécessaires à sa population et, comme je l’ai déjà indiqué dans ces pages, de maintenir en vie et en santé le « corps social ». Bien avant la plus récente guerre à Gaza, Save the Children avait lancé un avertissement expliquant que « le système de santé de Gaza reste au bord de l’effondrement après 16 ans de blocus » imposé par Israël et que, « parallèlement à l’escalade récurrente de la violence, cela constitue une menace constante pour la vie des enfants à Gaza ».

Cette situation en Palestine est qualifiée par plusieurs « d’apartheid médical ». Dans un article paru dans la revue Global Public Health en avril 2023, des chercheurs de l’école de santé publique à l’Université Drexel (à Philadelphie), Yazid Barhoush et Joseph J. Amon, expliquent que « le sous-investissement historique dans la santé, la dépendance économique permanente et les attaques contre des travailleurs de la santé, des installations et des transports, les exigences en matière de permis, et les restrictions à la liberté de mouvement pour les résidents du territoire palestinien occupé […] aboutissent à un système qui peut être considéré comme une forme d’apartheid médical défavorable aux citoyens arabes et non juifs du territoire palestinien occupé ».

Une injustice ancrée au fil du temps

Aujourd’hui, ici, l’EVAQ permet à tout enfant d’être accompagné d’un parent lors d’une évacuation aéromédicale. Les nouvelles cohortes de résidents en pédiatrie n’ont jamais eu à prodiguer des soins à un enfant transféré seul à cause de la pratique de non-accompagnement, que plusieurs d’entre nous avaient par ailleurs normalisée depuis des décennies. Il ne devrait jamais être normal d’infliger des traumatismes — physiques, émotionnels ou psychologiques — à des enfants.

Durant la campagne #TiensMaMain, nous n’avons jamais cessé d’exiger l’abolition de la règle draconienne de non-accompagnement pour tous les enfants au Québec. La campagne a donc permis d’améliorer la situation de toutes les populations concernées, autochtones ou non, même si nous avons insisté sur les enfants les plus touchés, soit les enfants cris et inuits du nord du Québec. En fait, tout au long de cette campagne, notre message est resté centré sur cette injustice ancrée au fil du temps dans l’histoire du colonialisme médical, un concept que j’emploie dans mon livre pour désigner « une culture ou une idéologie enracinée dans un racisme anti-autochtone systémique et faisant appel à des pratiques et à des politiques médicales pour établir, maintenir et/ou faire avancer un projet colonial génocidaire », notamment au Canada.

Analyser ces inégalités en santé permet de comprendre les structures qui les sous-tendent et de reconnaître le colonialisme de peuplement — tant canadien qu’israélien — comme un déterminant structurel de la santé, comme cela a été élaboré en juillet 2023 par le collectif de direction du Palestine Program for Health and Human Rights à l’Université Harvard. Ce collectif décrit le colonialisme de peuplement comme « une structure durable plutôt qu’un événement passé » où ce « système de pouvoir sert de configuration fondamentale et permanente déterminant les mécanismes sociaux et politiques qui s’imposent sur la santé humaine ».

Tout au long de la campagne #TiensMaMain, je me suis personnellement inspiré d’un concept popularisé par la regrettée Américaine Fannie Lou Hamer, syndicaliste, féministe et militante pour la liberté des Noirs : « Personne n’est libre tant que nous ne sommes pas tous et toutes libres. » Ses propos me sont revenus à l’esprit récemment en lisant un entretien sur le rôle libérateur de la médecine entre l’étudiante en médecine Mary Turfah et le chirurgien Ghassan Abu-Sittah publié par Mondoweiss, qui souligne comment la lutte du peuple palestinien est ancrée dans la solidarité avec les peuples autochtones et du Sud. Vers la fin de l’entretien, Turfah exprime son désarroi quand elle entend des gens dire que les « habitants de Gaza défendent leur humanité ». Selon elle, les Gazaouis sont plutôt « en train de défendre l’humanité du monde entier ».

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo