Des parents d’Ottawa attaquent l’Ontario en justice pour obtenir une école francophone
Dépourvus d’école secondaire francophone, des parents d’Ottawa ont déposé une requête en justice contre le gouvernement ontarien. Ils estiment que leurs droits linguistiques ne sont pas respectés et réclament un « engagement ferme » et rapide.
« Si vous m’aviez dit qu’un jour, j’en serais à m’adresser aux tribunaux pour que mes enfants aient accès à l’éducation en français, là où je vis, je pense que je serais tombé en bas de ma chaise », lance au Devoir l’un des trois requérants, Patrick Clermont.
M. Clermont et deux autres membres du comité directeur du Regroupement communautaire pour une école secondaire de langue française Ottawa-Centre ont envoyé une mise en demeure au ministre ontarien de l’Éducation, Stephen Lecce, le 23 avril dernier. Sans réponse de sa part, ils ont signé un mois plus tard, soit jeudi dernier, un avis de requête intimant M. Lecce et le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO).
Les requérants jugent que l’absence d’école secondaire de langue française dans le secteur d’Ottawa-Centre est une « violation » de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce dernier garantit notamment aux francophones en milieu minoritaire le droit d’instruire leurs enfants dans leur langue et oblige les provinces à financer des écoles lorsqu’un nombre suffisant d’élèves le justifie.
Le regroupement avance qu’au moins 1655 enfants de 12 à 17 ans dont les parents sont des ayants droit habitent dans le secteur. « On peut vraiment démontrer de façon très objective qu’il y a un réel besoin, et que si cette école-là était construite, les élèves suivraient très rapidement », souligne M. Clermont.
Un « chaînon manquant »
Selon le père de famille, il est « minuit moins une » pour combler ce « chaînon manquant ».
« La jurisprudence est très claire qu’avec l’article 23, il faut agir en temps opportun, parce que l’enfance, ça dure seulement le temps que ça dure », affirme l’avocat des requérants, Me David Taylor. « On ne s’enligne pas vers un gros procès comme on a vu dans certains coins du pays », dit-il, souhaitant que la démarche ancre la décision de financement du projet « dans la Constitution » et permette un éloignement « des considérations des politiciens ».
Les habitants du secteur, qui comprend notamment les quartiers du Glebe, de Westboro, de la Petite Italie et des plaines LeBreton, peuvent inscrire leurs enfants dans quatre écoles élémentaires de langue française. Il y a par contre absence d’options au secondaire, et les écoles situées dans les secteurs avoisinants « sont éloignées et bien remplies », écrit le regroupement dans sa mise en demeure. Les élèves finissent donc souvent par se diriger vers l’un des sept établissements anglophones du secteur.
« Une école francophone homogène, elle a une double mission : celle de l’éducation en français, mais aussi celle reliée à la culture, qui est fort importante », explique M. Clermont. « Chaque cohorte qui sort de la 6e année équivaut à une perte d’enfants dans le système de langue française », déplore Jennifer Larocque, elle aussi membre du comité directeur du regroupement.
« Il faudrait absolument une réponse cette année », indique-t-elle, soulignant que le financement n’est « que la première étape d’un processus qui peut durer des années ». Créé en 2019, le regroupement, qui a repris ses activités en 2022 après une pause marquée par la pandémie, espère qu’une nouvelle école secondaire publique ouvrira ses portes d’ici 2028.
À la recherche d’un engagement ferme
« Ce qu’on recherche, c’est l’engagement ferme des deux parties dans un échéancier précis », affirme Mme Larocque. « On a tous des enfants qui vont devoir aller à cette école secondaire là. On aimerait vraiment pouvoir les voir aller à l’école dans leur quartier, dans leur communauté, en français. »
Même si le regroupement reconnaît que le CEPEO « a fait sa part » en demandant au ministère « d’appuyer la construction » de l’établissement, M. Clermont estime que le conseil scolaire ne présente « rien de concret ». De son côté, le CEPEO maintient que « le dossier de l’école secondaire au centre-ville demeure prioritaire », mais refuse de le commenter puisqu’il est désormais judiciarisé.
Contactée par Le Devoir, la porte-parole du ministre Lecce, Isha Chaudhuri, a affirmé — uniquement en anglais — que le gouvernement de l’Ontario « s’est engagé à protéger et à développer l’éducation en langue française dans toute la province », faisant notamment référence à l’enveloppe de 1,3 milliard de dollars annoncée dans le budget ontarien 2024 pour la construction de nouvelles écoles. Mais M. Clermont craint que cette « incroyable fenêtre d’opportunité » soit en train de se fermer.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.