Ottawa veut éviter que sa loi contre la haine en ligne n’entraîne une avalanche de plaintes

Le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, lors d’une mêlée de presse à Ottawa, le 11 juin
Photo: Spencer Colby La Presse canadienne Le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, lors d’une mêlée de presse à Ottawa, le 11 juin

Le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, estime que des garde-fous dans son projet de loi visant à contrer la haine en ligne éviteront que la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) soit submergée par une montagne de plaintes de citoyens qui ne s’entendront pas sur ce qui constitue un contenu haineux.

La pièce législative, C-63, prévoit de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne pour définir comme de la discrimination le fait de publier des propos haineux. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, les personnes qui se sentent victimes de haine en ligne devront porter plainte auprès de la CCDP dans l’espoir que le Tribunal canadien des droits de la personne tranche en leur faveur.

Les pans de C-63 à ce sujet revisitent une disposition législative qui avait été supprimée par l’ex-gouvernement conservateur de Stephen Harper.

« Ce qu’on a entendu, c’est que, à l’époque, lorsque ça existait, […] ils ont dit que, oui, il y avait beaucoup de plaintes et c’était difficile de gérer toutes les plaintes », a dit le ministre Virani au sujet de la CCDP, au cours d’une récente entrevue avec La Presse canadienne.

Il a assuré que le gouvernement de Justin Trudeau a rajusté le tir avec son projet de loi. « On a écouté ça et on a mis en place des améliorations », a-t-il soutenu.

Parmi les ajustements qu’il a énumérés, M. Virani a affirmé que la définition du contenu haineux enchâssée dans C-63 est « complètement claire » et « liée à la jurisprudence », mentionnant qu’elle est employée par la Cour suprême depuis 2013.

Le projet de loi établit que le « contenu fomentant la haine » est celui qui « exprime de la détestation à l’égard d’un individu ou d’un groupe d’individus ou qui manifeste de la diffamation à leur égard et qui, compte tenu du contexte dans lequel il est communiqué, est susceptible de fomenter la détestation ou la diffamation d’un individu ou d’un groupe d’individus sur le fondement d’un tel motif de distinction illicite », peut-on lire.

Il est précisé que du contenu ne peut être considéré haineux « pour la seule raison qu’il exprime du dédain ou une aversion ou qu’il discrédite, humilie, blesse ou offense ».

Depuis qu’ils ont déposé C-63 à la fin février, les libéraux ont essuyé une vague de critiques de nombreuses personnes craignant que leur liberté d’expression soit limitée. La célèbre écrivaine Margaret Atwood avait relayé de telles craintes sur le réseau social X.

C’est d’ailleurs en raison de préoccupations similaires que l’ex-gouvernement Harper avait éliminé ce qui était autrefois la section 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Virani multiplie les sorties

Convaincu que sa refonte des anciennes dispositions législatives ne porte pas atteinte à la liberté d’expression, M. Virani multiplie, depuis la fin février, les sorties pour insister sur ce que le projet de loi, à son avis, ne contient pas. Cela pourrait donner à penser qu’il passe ainsi moins de temps à souligner ce que C-63 inclut.

« Il fallait, pour moi, expliquer […] à plusieurs reprises ce qu’on ne fait pas juste pour souligner que c’est une approche assez mesurée, assez appropriée, assez liée à nos propres droits ici au Canada et nos protections qui sont protégées par la Charte canadienne des droits et libertés », a-t-il résumé au cours de l’entretien téléphonique.

Le ministre a ajouté que la définition choisie « n’est pas la mienne, celle de Justin Trudeau ou de notre cabinet libéral », répétant qu’elle provient du plus haut tribunal au pays.

M. Virani soutient que la CCDP pourra « rejeter d’une façon sommaire » des plaintes « dès le début du processus si ce qui est le sujet de la plainte ne touche pas la définition de la haine ».

Le ministre a aussi pointé du doigt une disposition donnant à la commission la latitude d’écarter une plainte parce que le signalement est jugé « futile, vexatoire ou entaché de mauvaise foi ».

Par ailleurs, des frais pourront être exigés « contre une personne qui a abusé du processus de la commission », a signalé le ministre.

M. Virani s’est dit réceptif à toute demande de ressources additionnelles que la CCDP pourrait lui formuler.

Les libéraux promettent de légiférer contre le contenu préjudiciable en ligne depuis la campagne électorale fédérale de 2019.

Le projet de loi C-63 a, depuis son dépôt, à peine cheminé dans son étude par les parlementaires. M. Virani blâme les conservateurs, qu’il accuse de bloquer l’avancée de l’étude législative.

À ce sujet, un porte-parole du chef conservateur a déclaré la semaine dernière que l’entente qu’ont les libéraux avec les néodémocrates leur permet de prioriser ou contrecarrer toute législation comme ils le veulent, « contrairement à leur pleurnichage ».

Le leader parlementaire des néodémocrates, Peter Julian, croit pour sa part que tout délai est attribuable à Justin Trudeau.

Le Bloc québécois a demandé en vain que le projet de loi soit scindé afin que d’autres sections de la proposition législative visant à protéger les mineurs de l’exploitation sexuelle en ligne soient adoptées rapidement puisque, selon la formation politique, ces éléments font consensus, contrairement à ceux portant sur les publications haineuses.

Avec des informations de Stephanie Taylor

À voir en vidéo