À New York, un ambitieux plan de financement des transports en commun meurt dans l’oeuf

Un piéton marche devant des voitures en arrière-plan
Photo: Spencer Platt Getty Images via Agence France-Presse Un piéton marche devant des voitures en arrière-plan

Nicolás Rivero et Oliver Staley

The Washington Post

La Ville de New York était sur le point de lancer la première expérience américaine de tarification de la congestion : un péage imposé aux conducteurs entrant dans les quartiers encombrés de Manhattan qui aurait permis de réduire la circulation et de financer des améliorations indispensables au système de transport public de la ville.

Mais la gouverneure de New York, la démocrate Kathy Hochul, a brusquement mis un terme à ce projet mercredi dernier. « Après mûre réflexion, je suis parvenue à la décision difficile que la mise en oeuvre du système de tarification de la congestion prévu risque d’avoir trop de conséquences imprévues », a-t-elle déclaré aux journalistes.

L’objectif était de réduire la congestion dans la ville la plus encombrée des États-Unis, où la vitesse moyenne de déplacement a été ramenée à 7 miles à l’heure. Presque tous les automobilistes entrant dans le sud de Manhattan auraient eu à payer 15 dollars, ce qui devait permettre de récolter un milliard de dollars par an pour les transports publics tout en réduisant la pollution de l’air.

En théorie, lorsque le coût des embouteillages et de la pollution est transféré aux conducteurs qui en sont la cause, ceux-ci réduisent leur consommation et utilisent les trains et les bus au lieu de leur voiture. Mais de nombreux automobilistes, ainsi que des hommes politiques des États voisins et de la banlieue de New York, se sont plaints du fait que cette mesure imposerait une charge financière plus lourde aux résidents ordinaires. Le changement de cap de Mme Hochul montre à quel point il sera difficile, aux États-Unis, de mettre en oeuvre la tarification des embouteillages, une politique respectueuse du climat qui a fait ses preuves dans le monde entier, notamment à Londres, à Singapour et à Stockholm.

« Si la Ville de New York n’y parvient même pas, bien qu’elle dispose de moyens de transport autres que la voiture, ce sera encore plus difficile dans les régions qui n’ont pas de bonnes solutions de rechange », a déclaré Zakhary Mallett, chercheur en planification urbaine et régionale à l’Université Cornell.

Des études ont montré que la tarification de la congestion pouvait réduire la pollution de l’air et parfois apporter des avantages majeurs en matière de santé, tels que la réduction des taux d’asthme chez les enfants, dans les zones urbaines qui voient la circulation diminuer.

Cette politique aurait également aidé la Ville de New York à atteindre son objectif de réduction de la pollution par les gaz à effet de serre de 80 % d’ici 2050. Les transports représentent la deuxième source d’émissions de CO2 dans la ville, après les bâtiments, qui y contribuent pour près d’un tiers, selon les données municipales.

La perte des recettes de péage compromet les projets d’amélioration des transports publics à New York, qui ont été longtemps retardés.

« Les usagers des transports publics, les millions d’entre nous qui les prennent tous les jours, comptaient sur la tarification de la congestion pour obtenir le métro fiable et accessible que nous méritons, accélérer nos autobus, qui sont les plus lents du pays, et assainir notre air », a déclaré Danny Pearlstein, directeur des politiques et des communications à la Riders Alliance, une organisation d’usagers des transports en commun. « Maintenant, nous ne pouvons plus compter sur rien de tout cela. C’est une trahison importante. »

Le militant pour le climat Bill McKibben a quant à lui critiqué la décision de Mme Hochul pour son incidence sur l’environnement. « Il s’agit de l’une des actions contre l’environnement (et contre la qualité de la vie urbaine) les plus nocives jamais entreprises par un gouverneur démocrate », a-t-il écrit sur X.

Réaction des conducteurs et des États voisins

Le plan de tarification des embouteillages de New York s’est heurté à l’opposition des groupes de pression et à huit actions en justice intentées par des groupes représentant les automobilistes et le gouverneur de l’État voisin du New Jersey. Kathy Hochul, qui avait déclaré récemment, lors du sommet économique mondial en Irlande, que cette approche était un moyen de « rendre les villes plus vivables », a expliqué avoir changé d’avis parce qu’elle craignait que les péages ne nuisent à la reprise économique de New York après la pandémie de coronavirus.

Le représentant démocrate Pat Ryan (New York), qui se représente dans un district de la banlieue, a salué l’annonce de Mme Hochul. « Depuis le premier jour, je me suis battu aux côtés d’innombrables familles de la vallée de l’Hudson contre ce plan injuste, mal avisé et inacceptable de tarification de la congestion », a-t-il déclaré dans un communiqué. « Aujourd’hui, je suis fier de dire que nous avons mis fin à ce projet de péage urbain. »

Mais selon Danny Pearlstein, ce changement représente une victoire des conducteurs banlieusards les plus riches sur les usagers des transports en commun. « C’est la revanche des 8 %, a-t-il déclaré, car 92 % des gens arrivent déjà par les transports en commun depuis tous les quartiers de la ville. »

Tirer sur la couverture pour le financement des transports en commun

L’abandon de la tarification de la congestion laisse l’Autorité de transport métropolitain (MTA), qui est responsable des bus, des lignes ferroviaires de banlieue et du réseau de métro, dans un gouffre financier. Les recettes attendues du péage lui auraient permis de lever un emprunt obligataire de 15 milliards de dollars pour financer l’extension du métro, l’achat de bus et de voitures de train électriques ainsi que d’autres améliorations de base d’une infrastructure de transport vieille de plusieurs décennies.

« Le fait de se faire couper l’herbe sous le pied est un gros problème », a déclaré Nicholas Klein, professeur adjoint d’urbanisme et d’aménagement du territoire à l’Université Cornell. « On ne sait pas très bien d’où viendra l’argent pour le remplacer, ni même s’il viendra. »

Une occasion manquée de montrer l’exemple

La décision de Kathy Hochul fait également échouer ce qui aurait été le seul exemple de tarification de la congestion aux États-Unis.

« Je pense que ça rend les choses plus difficiles quand Chicago, San Francisco ou Los Angeles ne peuvent pas citer la Ville de New York et dire : “Elle a mis en place un système de tarification de la congestion et cela a fonctionné”, a déclaré M. Klein. Il est plus difficile de dire “regardez Stockholm, Singapour ou Londres”, parce qu’invariablement, les gens diront : “Eh bien, ça a marché à Londres, mais est-ce que ça marchera aux États-Unis ?” »

New York était censée être l’endroit où il serait le plus simple de tester la tarification de la congestion, car un grand nombre de ses habitants utilisent déjà les transports en commun.

« Toutes les autres villes allaient être confrontées à une pente beaucoup plus raide, a déclaré de son côté Danny Pearlstein. On ne croyait pas que la tarification de la congestion allait se répandre comme une traînée de poudre, mais la situation semble désormais bien pire. »

La lutte continue

Les militants réclament une certaine forme de tarification de la congestion à New York depuis des décennies, et le plan le plus récent, approuvé en 2019, a nécessité une dizaine d’années de travail.

Alors que Mme Hochul a déclaré avoir ordonné à la MTA de « suspendre le programme pour une durée indéterminée », les militants et les chercheurs du secteur des transports publics affirment qu’ils continueront à se battre pour le relancer.

« Les efforts vont se poursuivre, a déclaré Zakhary Mallett. Je ne sais pas si cela se produira sous le mandat de Kathy [Hochul], mais l’effort n’est pas mort, je peux vous le promettre. »

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