Les artistes féminines peinent à se faire entendre à la radio
Les stations de radio au Québec, comme dans le reste du Canada, demeurent beaucoup plus enclines à jouer les chansons d’artistes masculins que celles interprétées par des femmes. Une réalité qui s’observe dans tous les genres radiophoniques, y compris dans ceux qui visent essentiellement un auditoire féminin.
Dans une récente étude, deux chercheuses de l’Université d’Ottawa se sont notamment penchées sur les rotations musicales dans les stations de radio francophones dans le format « adulte contemporain », dont le public cible est la femme, souvent d’un certain âge, à l’image des réseaux Rythme et Rouge.
Sur les 11 fréquences étudiées, pour la plupart au Québec, il s’avère que les chansons interprétées uniquement par des hommes étaient surreprésentées dans la programmation en 2023. Leur poids varie légèrement entre les stations qui ont un répertoire plus mature (61 %) et celles qui jouent des titres un peu plus actuels (71 %).
« On écoute des artistes auxquels on peut s’identifier », rappelle la musicologue Jada Watson, qui a dirigé cette étude. « Je ne veux pas tomber dans les stéréotypes. Mais que les hommes soient aussi présents sur des radios qui visent surtout des femmes, ça montre que les femmes peuvent très bien s’identifier à l’univers d’artistes masculins. Alors que les hommes, eux, ont beaucoup plus tendance à seulement écouter des artistes masculins encore aujourd’hui. »
Où sont les femmes ?
Et pour cause, dans les stations visant essentiellement un auditoire masculin, la présence en ondes d’artistes féminines est souvent carrément famélique. Sur 18 stations rock, la plupart émettant au Canada anglais, les chansons interprétées uniquement par des hommes ont accaparé l’an dernier 91 % du temps d’antenne.
Dans les stations country anglophones, les artistes masculins prédominent également. Environ 77 % de leur programmation musicale en 2023 était composée de titres sur lesquels on n’entendait que des voix masculines, toujours selon des données compilées par l’Université d’Ottawa.
« C’est très choquant, car on sait qu’il y a beaucoup de femmes qui chantent du rock et du country. Quand on observe ces statistiques, on comprend mieux pourquoi il y a si peu de femmes qui sont programmées dans les festivals. C’est un problème au Québec, comme dans le reste du Canada. Pour que les gens aient envie d’aller voir des femmes en spectacle, il faut que les radios les fassent connaître en jouant leur musique », déplore Jada Watson, dont la plupart des travaux portent sur la musique country et la radio commerciale.
Mme Watson s’intéresse beaucoup à la place des femmes dans les palmarès, mais aussi à celles des artistes trans et des personnes racisées. Elle milite activement pour une meilleure inclusion en musique, reprochant à l’industrie d’être encore machiste et « ségrégationniste ». Cela dit, cette docteure en musicologie ne croit pas que le bon moyen d’atteindre une meilleure représentativité soit d’imposer de nouveaux quotas en radio, comme ceux qui existent actuellement pour le contenu canadien et pour la musique francophone.
« Ce qu’il faut, ce ne sont pas quotas, ce sont des travaux approfondis sur la programmation musicale. Il faut qu’il y ait une prise de conscience, et pas seulement des radios. Le travail doit aussi venir des labels, des festivals et des galas », soutient-elle.
Effet Taylor Swift
Dans le cadre de leur recherche, Jada Watson et sa collègue ont également analysé le catalogue d’une vingtaine de radios anglophones de genre « top 40 ». Sur ces fréquences où l’on joue en boucle les grands succès de l’heure, souvent américains, les femmes étaient, là aussi, la plupart du temps sous-représentées dans les 10 dernières années. Mais revirement de situation en 2023 : ces stations ont accordé quasiment la même place en ondes aux morceaux d’artistes féminines qu’à ceux d’artistes masculins. Même que, parmi les 150 chansons les plus populaires de l’année, davantage de titres étaient interprétés par des femmes.
« Quand on fait une analyse plus poussée de 2023, on voit que la croissance spectaculaire de la place des femmes s’est faite surtout entre juillet et décembre. On remarque que les chansons de Miley Cyrus et de Taylor Swift y sont pour beaucoup », constate Jada Watson, qui, toutefois, n’y voit pas nécessairement une tendance durable.