À Mont-Royal, une rare maison du XVIIIe siècle laissée à elle-même
Une maison de pierres du XVIIIe siècle, une des rares du genre encore debout sur toute l’île de Montréal, a échappé à la démolition ce printemps dans la ville de Mont-Royal (VMR). Ce bâtiment historique menacé apparaît comme un orphelin laissé sur le bas-côté de l’histoire des fusions et des défusions municipales.
En 2004, durant le court intervalle où VMR fut fusionnée à Montréal, le plan d’urbanisme statuait que la demeure était d’« intérêt patrimonial ».
L’année suivante, une évaluation du patrimoine urbain montréalais plaçait cette même maison, située au 2333, chemin Sunset, sur la courte liste de bâtiments à « valeur patrimoniale exceptionnelle ».
Mais depuis que VMR est redevenue une cité indépendante en 2006, cette maison ancestrale a été non seulement oubliée, mais laissée-pour-compte. Au point de sérieusement se détériorer et de faire face à un avis de démolition.
VMR « a émis plusieurs avis concernant les nuisances, la propreté et l’entretien du terrain et aussi du bâtiment », affirme au Devoir le porte-parole de la municipalité. « Le propriétaire n’y répondait jamais et il était impossible de le joindre », donc les choses en sont restées là pendant longtemps.
La municipalité affirme au Devoir qu’elle n’a pas « l’intention de faire faire une évaluation patrimoniale pour ce bâtiment pour le moment ».
Pas de liste
VMR pourrait-elle envisager de citer le bâtiment pour en assurer la protection ? « Non, ce n’est pas l’intention de la Ville », a-t-on répondu au Devoir. La municipalité précise du même souffle qu’« il n’y a aucun bâtiment de cité à VMR ».
Plus de 18 ans après avoir regagné son autonomie face à Montréal, VMR ne peut toujours pas compter sur un dénombrement complet des bâtiments patrimoniaux situés sur son territoire. En vertu de la loi, cette municipalité d’environ 20 000 habitants a encore jusqu’en 2026 pour en adopter un et adapter ses règlements en conséquence.
La loi québécoise indique que les règlements d’une ville doivent notamment considérer l’histoire d’un immeuble, sa contribution à l’histoire locale, ses particularités, son degré d’authenticité. À défaut de quoi la municipalité « se conformera », en attendant, indique VMR au Devoir, à l’obligation de soumettre ses décisions auprès du ministère de la Culture et des Communications.
Un rare témoin
Tout le monde semble faire peu de cas de l’importance de cette demeure du chemin Sunset, déplore amèrement Françoise Le Gris, théoricienne de l’art et commissaire d’exposition, connue aussi comme professeure associée en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal. Mme Le Gris plaide avec ferveur que cette maison est importante non seulement pour VMR, mais aussi pour l’île de Montréal, voire pour l’histoire du Québec.
« Selon mes recherches, la maison remonte bien au XVIIIe siècle », explique Mme Le Gris, c’est-à-dire « au temps où les Sulpiciens, les seigneurs de l’île, accordaient des concessions ». Elle soutient que, contrairement à l’inscription de la date de 1910 au rôle d’évaluation foncière, tout indique que cette demeure ancestrale en pierres remonte à plus de deux siècles. Soit bien avant la fondation de cette « cité-jardin » dessinée par Frederick Gage Todd à la faveur d’un nouveau tracé ferroviaire.
« Elle serait contemporaine de la maison Brisson ou de la maison François Jarry (1787), et comme cette dernière, une maison de ferme comme il y en avait beaucoup aux XVIIIe et XIXe siècles sur l’île de Montréal et dans ses alentours. D’où son architecture particulière, comportant un large toit mansardé », explique Mme Le Gris sur la base de documents anciens.
De ces maisons construites au temps où les Sulpiciens étaient les seigneurs de l’île de Montréal, il ne reste pratiquement plus de témoins. Ce qui leur donne d’emblée une valeur d’exception.
Sur le Terrier des Sulpiciens daté de 1865, sorte de registre cartographié des concessions octroyées aux colons pour peupler l’île de Montréal, cette maison compte parmi les fermes répandues le long de ce qu’on appelait la côte Saint-Laurent.
Pour connaître le fin mot de l’histoire, il faudrait que des experts puissent examiner de près la charpente du corps le plus ancien de la demeure, en collaboration avec les pouvoirs publics. Cela n’a toujours pas été fait.
Françoise Le Gris affirme avoir multiplié, auprès de la municipalité, les demandes pour que cette maison soit protégée et mise en valeur. En vain, dit-elle.
Détériorations et démolition ?
En réponse aux questions du Devoir, la Ville admet que les lieux se sont détériorés avec le temps. VMR aurait-elle pu, en vertu de la loi, faire exécuter des travaux de sauvegarde, à la charge éventuelle des propriétaires ? Elle a plutôt décidé de s’adresser aux représentants du Curateur public « afin de faire corriger des non-conformités, mais avec peu de succès », admet-elle.
En 2022, les nouveaux responsables privés du bien immobilier ont effectué, à la demande de la Ville, des travaux sur la toiture. Un revêtement neuf a été installé et les six lucarnes ont été protégées.
La demeure ancestrale est depuis entre les mains d’une planificatrice financière ainsi que d’un agent immobilier. Les deux ont saisi la Ville, au printemps 2024, d’une demande de démolition, selon le certificat public qu’a consulté Le Devoir. Ils souhaitaient aménager sur le terrain une nouvelle construction.
Quelque 40 citoyens se sont opposés au projet. Sensible à cette manifestation d’intérêt, la Ville a repoussé la demande, en affirmant par ailleurs n’avoir pas été convaincue « de l’intégration du programme préliminaire de réutilisation des sols », c’est-à-dire du projet de reconstruction présenté pour le site. Une nouvelle demande de démolition pourrait être soumise, indique la Ville de Mont-Royal.