Moins d’auditions qu’avant pour les comédiens
Plusieurs comédiens constatent que de plus en plus de rôles à la télévision québécoise sont distribués sans processus d’audition. La hausse des coûts de tournage, notamment, pousserait les producteurs à réaliser des économies sur les processus de distribution des rôles. Conséquence : des acteurs déplorent d’avoir moins d’occasions de travailler.
C’est le cas de Mathieu Dufresne, qui a récemment joué dans la série Les bracelets rouges. « Quand j’ai commencé dans le métier, il y a 20 ans, je pouvais facilement passer cinq-six auditions par année. Aujourd’hui, je dois en passer environ une par année. Si c’était juste moi, je comprendrais. C’est un métier qui vient avec des hauts et des bas. Il faut accepter qu’il y ait des périodes creuses. Sauf que là, j’ai l’impression que c’est généralisé depuis quelques années. Tout le monde à qui je parle passe moins d’auditions », explique celui qui sera de la prochaine saison de Doute raisonnable.
S’il travaille encore, Mathieu Dufresne estime que c’est parce qu’il a de l’expérience, et donc la chance qu’on lui offre des rôles personnellement, sans processus d’audition. Mais il s’imagine bien que les jeunes acteurs qui sortent des écoles n’ont pas ce luxe, eux qui ont peu d’options pour rayonner si l’on ne les auditionne pas.
Le comédien fait partie de ceux qui ont vivement réagi sur les réseaux sociaux à l’entrevue avec le scénariste Richard Blaimert que Le Devoir a publiée la fin de semaine dernière. Dans cet article, l’auteur de Cerebrum déplore que les productions québécoises disposent de moins de temps de tournage qu’auparavant. Les acteurs ont ainsi la pression de performer dès la première prise. Cette réalité, selon lui, encouragerait l’embauche des mêmes vedettes, comme Julie Le Breton et Claude Legault. « Un acteur qui joue moins souvent, ça se peut que les premières prises, il soit stressé. Et c’est normal. Mais nous, on est limités. Si on prend plus de temps avec un acteur, ça décale tout le reste du tournage », soutient Richard Blaimert.
Ces propos ont été contestés par plusieurs comédiens dans les derniers jours sur les réseaux sociaux, notamment par Patrice Coquereau, Dominique Pétin ou encore Alain Zouvi. Certains ont souligné que des acteurs moins connus seraient eux aussi en mesure de bien jouer rapidement, mais encore faut-il qu’on leur en donne la possibilité. Si l’on voit toujours les mêmes visages à la télévision québécoise, ce n’est pas à cause de contraintes techniques, mais parce qu’on attribue les rôles sans lancer de processus d’audition, rétorque-t-on.
Par courriel, Richard Blaimert est revenu mardi sur la controverse qu’ont suscitée ses propos. Il a précisé que son intention était de dénoncer le manque de moyens et de temps en télé québécoise, et que jamais il n’a voulu remettre en doute le talent des acteurs qui ont moins l’habitude du jeu.
« De meilleurs budgets nous permettraient de voir plus de comédiens et comédiennes en audition, offrant ainsi plus de perspectives et de diversité à notre industrie », a lui aussi soutenu l’auteur, à qui l’on doit plusieurs séries à succès, comme Le monde de Charlotte et Les hauts et les bas de Sophie Paquin.
Une pression des diffuseurs ?
L’Union des artistes (UDA) dit être régulièrement interpellée par ses membres à propos du peu d’auditions organisées. À un point tel qu’un sondage a récemment été mené pour mesurer l’ampleur du problème. Selon l’UDA, environ 60 % des répondants ont indiqué avoir auditionné dans la dernière année, mais seulement à une occasion « pour la grande majorité d’entre eux ».
« Une audition par année, c’est très peu. Les auditions, c’est la manière d’obtenir des contrats pour la quasi-totalité des acteurs. C’est une infime minorité de comédiens qui se voient offrir des rôles directement », déplore la présidente de l’UDA, Tania Kontoyanni, qui observe que les auditions en présentiel sont devenues plus rares depuis la pandémie.
Mme Kontoyanni reconnaît que les producteurs disposent de moyens plus limités, ce qui leur permet difficilement de se lancer dans de grands processus d’auditions, qui peuvent s’étaler sur quelques jours. Mais ce n’est pas la seule raison expliquant la baisse du nombre d’artistes convoqués en audition, d’après elle. La présidente de l’UDA cite également une pression des diffuseurs et des commanditaires pour l’embauche de certaines têtes d’affiche.
Malgré tout, l’UDA ne plaide pas pour l’instauration de clauses qui forceraient la production à distribuer un minimum de rôles à la suite d’auditions. « Les temps sont plutôt à la sensibilisation auprès des producteurs et des directeurs de casting », évoque Tania Kontoyanni.
La version des directeurs de «casting»
Les directeurs de casting, qui sont engagés par les producteurs pour distribuer les rôles sur un projet, confirment mener moins d’auditions qu’auparavant. Pierre Pageau, qui exerce ce métier depuis une vingtaine d’années, pointe lui aussi le manque de moyens et de temps, qui s’est accru dans les dernières années au Québec. « Quand on fait des auditions, le réalisateur est souvent avec nous. Pendant ce temps-là, il n’est pas en train de repérer des lieux pour le tournage, de former son équipe de techniciens ou de réviser les textes. Et le réalisateur est très limité en temps », souligne l’ancien président de l’Association des directeurs de casting du Québec.
Mais contrairement à ce qu’indique l’UDA, Pierre Pageau assure ne pas ressentir de pression de producteurs ou de diffuseurs pour attribuer des rôles à des acteurs vedettes sans audition. « Les seules auditions que l’on passe encore, ce sont justement pour les premiers rôles. On n’a plus le temps de faire des auditions pour des deuxièmes et troisièmes rôles. Les comédiens connus peuvent donc être amenés à faire des auditions », avance-t-il.
M. Pageau précise que même s’il y a moins d’auditions qu’avant au Québec, les acteurs n’ont pas moins d’occasions de travailler. Au contraire, rappelle-t-il, le nombre de séries télévisées a considérablement augmenté dans les dernières années au Québec avec l’arrivée des plateformes.