En mission en Europe pour renforcer la lutte contre le contrôle coercitif

Même si de nombreux organismes de défense des victimes se sont prononcés au Canada en faveur de la criminalisation du contrôle coercitif, des craintes demeurent : que l’infraction se retourne contre les victimes, par exemple.
Photo: Marie-France Coallier Archives Le Devoir Même si de nombreux organismes de défense des victimes se sont prononcés au Canada en faveur de la criminalisation du contrôle coercitif, des craintes demeurent : que l’infraction se retourne contre les victimes, par exemple.

Afin de préparer le terrain pour l’entrée en vigueur anticipée de la nouvelle infraction criminelle de « contrôle coercitif », deux représentantes du Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale et un chef de police québécois sont allés, fin mai, en mission en Écosse et en Angleterre. Leur objectif était de ramener tout ce qu’il faut pour que le système de justice criminelle soit prêt à l’accueillir — et pour que l’infraction soit pleinement efficace et ait suffisamment de mordant. Le Devoir les a rencontrés à leur retour.

Le projet de loi qui vise à ajouter au Code criminel l’infraction de contrôle coercitif a été adopté à l’unanimité en juin par la Chambre des communes et est maintenant à l’étude au Sénat. On s’attend à ce qu’il devienne texte de loi.

Le contrôle coercitif désigne toutes les stratégies mises en place par l’agresseur pour violenter, manipuler et dominer sa victime. C’est une prise de contrôle insidieuse et progressive qui n’a pas nécessairement besoin de coups pour s’exercer.

Même si de nombreux organismes de défense des victimes se sont prononcés en faveur de la criminalisation du contrôle coercitif au Canada, des craintes demeurent : que l’infraction se retourne contre les victimes, par exemple, ou bien que le système judiciaire ne soit pas prêt ou que les policiers ne sachent pas trop quoi faire de ce nouveau crime.

Le trio est donc parti en mission en Angleterre et en Écosse — où le contrôle coercitif est respectivement criminalisé depuis 2015 et 2019 — afin d’éviter les écueils qu’ils ont rencontrés. Une première mission avait permis d’importer des façons d’améliorer le projet de loi canadien, alors que la seconde visait à optimiser la mise en place de ce futur crime en sol canadien, a résumé Me Karine Barrette à son retour d’Europe.

Elle y est allée avec sa collègue Marie-Jeanne Gratton, mais aussi avec le directeur de la Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville, Francis Lanouette, qui représentait l’Association canadienne des chefs de police.

Là-bas, ils ont rencontré des policiers, des procureurs, des chercheurs et des organismes d’aide aux victimes. Le message de deux nations est le même : s’ils ont rencontré des difficultés, « ils ne reviendraient pas en arrière », rapporte Me Barrette. Car « chaque année, il y a eu une hausse des dossiers qui sont judiciarisés et une hausse des dossiers où il y a eu une personne condamnée », relève Mme Gratton.

Implanter une nouvelle infraction criminelle

Évidemment, « on se pose des questions sur l’implantation d’une nouvelle infraction », souligne le chef de police. Il estime qu’il faut tout d’abord s’assurer que les policiers maîtrisent bien le concept pour qu’ils soient en mesure de reconnaître ce crime sur le terrain et de faire ressortir les éléments de contrôle coercitif dans leurs rapports.

La clé du succès est la formation, poursuit-il, ajoutant qu’« au Québec, on est déjà bien avancés ». Le Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale a déjà formé beaucoup de monde sur la notion du contrôle coercitif — 6200 acteurs du système judiciaire depuis 2021 —, dont des milliers de policiers.

La formation ne doit pas porter que sur le libellé de l’infraction, précise Me Barrette, car « il faut aussi que tout le monde sache comment ça s’incarne dans la réalité des victimes ». Ainsi, la formation doit aussi porter sur le « savoir-être », c’est-à-dire sur la manière d’agir avec les victimes et mettre de côté les biais que l’on peut avoir, rappelle le chef Lanouette.

L’Écosse attribue notamment son succès au fait que tout le monde a été formé « en amont », un an avant l’entrée en vigueur de l’infraction. « Tout le monde était prêt », a souligné le chef. L’Angleterre ne l’a pas fait, et « ils sont en rattrapage depuis ».

Plusieurs suggestions faites par ces deux nations du Royaume-Uni sont déjà en place au Québec depuis Rebâtir la confiance, le vaste rapport du Comité d’experts québécois sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, indique Mme Gratton. Comme le fait d’avoir le même procureur tout au long du dossier et des rencontres avec la victime à différentes étapes du processus judiciaire, illustre-t-elle.

Il a aussi été suggéré par l’Écosse de créer des équipes policières spécialisées. Ce n’est pas réaliste au Québec, estime M. Lanouette, vu la taille du territoire et le nombre de forces policières. Mais il y a d’autres modèles possibles, comme celui de la Sûreté du Québec, qui a son équipe de coordination pour la violence entre partenaires intimes, qui agit en unité de soutien aux patrouilleurs.

L’usage de caméras corporelles pour les policiers a été nommé comme étant un outil « hyperimportant », explique Me Barrette. Et cela, sur deux volets : d’abord, pour la formation — cela permet de montrer le vaste éventail de réactions des victimes —, mais aussi pour apporter des preuves du contrôle coercitif devant les tribunaux.

Des craintes et des lacunes

Une des craintes verbalisées un peu partout ici est que la nouvelle infraction risque de « se retourner contre la victime », bref, que l’agresseur s’en serve pour la faire accuser en prétendant que c’est elle qui est « contrôlante ». Une stratégie efficace pour l’empêcher de porter plainte, dénonce Me Barrette.

La mission en Europe leur a permis d’aborder cette inquiétude et de constater qu’elle s’est révélée non fondée là-bas, puisque les procureurs doivent faire une analyse pour déterminer qui est l’« agresseur principal », ce qui évite les « plaintes croisées ». Il faut donc que les acteurs judiciaires soient formés pour reconnaître cette tactique, insiste le chef de police.

Un autre élément qui est problématique, ici comme là-bas, est le manque d’arrimage entre le droit de la famille et le droit criminel, a constaté Me Barrette. C’est le cas quand un juge au criminel interdit à un auteur de violences de communiquer avec son ex-conjointe, mais que le Tribunal de la famille ordonne des communications entre les deux pour la garde des enfants.

Le rapport de mission qui collige toutes les bonnes pratiques de l’Écosse et de l’Angleterre sera remis à ceux qui travaillent sur le projet de loi et aux décideurs politiques à Québec et à Ottawa.

Si le système judiciaire de certaines provinces est moins prêt pour une implantation aisée, « au Québec, on a des conditions gagnantes déjà en place. Je pense qu’on peut mieux réussir ce qui a été fait ailleurs », dit avec optimisme le chef Lanouette.

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