Les Mexicains choisissent Claudia Sheinbaum

Les Mexicains ont fait leur choix : Claudia Sheinbaum deviendra la première femme à gouverner le pays. La candidate de Morena, parti du président sortant, aura obtenu une victoire franche, avec 60 % des voix, loin devant sa rivale, Xóchitl Gálvez, qui a eu 28,6 % des suffrages, selon l’Institut national électoral (INE). Loin derrière, le troisième candidat, Jorge Álvarez Máynez, a reçu environ 10 % des suffrages.

Après s’être réjouie de son avance de 30 points de pourcentage sur sa rivale, Claudia Sheinbaum a rappelé le caractère historique de cette élection. « Je suis aussi reconnaissante parce que, pour la première fois en 200 ans de la République, je deviendrai la première femme présidente du Mexique », a-t-elle déclaré, devant un parterre de partisans et de médias, dans un hôtel non loin du Zócalo, à Mexico.

Mais elle a tenu à rappeler qu’elle n’y est pas arrivée seule. « Nous y sommes toutes arrivées. Avec nos héroïnes qui nous ont donné notre patrie, nos ancêtres, nos mères, nos filles et nos petites-filles. »

Quelque 98 millions d’électeurs auront ainsi choisi la continuité plébiscitant celle que tous appellent « la doctora Claudia », la protégée du président Andrés Manuel López Obrador. En chiffres absolus, la nouvelle présidente aurait même obtenu plus de votes que son prédécesseur. Elle obtiendrait également une majorité qualifiée au Congrès et probablement au Sénat.

Dans un discours très sobre, sans éclat, Claudia Sheinbaum a également félicité les Mexicains qui sont allés voter en grand nombre. « Grâce à votre participation, on a démontré que le Mexique est un pays démocratique avec des élections pacifiques et très participatives. » Elle a également remercié Xóchitl Gálvez, sa principale rivale, qui l’a appelée et lui a concédé la victoire, et a salué le troisième candidat, Jorge Álvarez Máynez, du Mouvement citoyen, pour sa participation.

Première présidente d’Amérique du Nord

« Claudia Sheinbaum deviendra la première femme présidente de notre histoire et de l’Amérique du Nord », avait déclaré plus tôt dans la soirée le président du parti Morena, Mario Delgado, environ une heure après la fermeture des bureaux de vote. « Le triomphe de Claudia Sheinbaum ne fait aucun doute ! » avait-il ajouté, en parlant des sondages à la sortie des urnes qui donnaient à la candidate de Morena un grand avantage sur la candidate du PRIANRD, l’alliance des trois partis qui ont soutenu la candidate de centre droit, Xóchitl Gálvez.

Bien que Morena (Mouvement de régénération nationale), qui faisait alliance avec le Parti travailliste et les Verts, ait annoncé très tôt la victoire de sa candidate, la nouvelle présidente s’est fait attendre. Elle n’est apparue à la presse que vers minuit, alors que les médias s’impatientaient tout comme les commentateurs de la télévision, qui ne savaient plus comment meubler le temps. En fait, l’équipe de Claudia Sheinbaum attendait la confirmation de l’INE avant de crier véritablement victoire.

Au Zócalo, la place forte au coeur de la ville, les mariachis qui avaient épuisé leur répertoire ont enfin cédé leur place lorsque la nouvelle présidente s’est présentée aux milliers de Mexicains venus vivre ce moment historique. « C’est du bonheur », a dit en jubilant Ester, qui confie avoir fugué du travail pour aller célébrer cette victoire. « Ça fait tellement longtemps qu’on attend ça. »

Plus loin, sous un concert de klaxons et de cris de la foule en liesse, un groupe de femmes vêtues de t-shirts et casquettes de Morena se disaient sur un petit nuage. « Mon émotion… C’est de la fierté et de la joie ! » a lancé Paulina Granados. « En plus, Claudia est préparée. Elle sait parler aux gens et elle a une grande expérience. »

Les habitants de Mexico, la capitale qui a un statut d’État, devaient aussi choisir un chef de gouvernement. Très tôt après la fermeture des bureaux de scrutin, les deux candidats Clara Brugada, de Morena, et Santiago Taboada, de Vamos X Mexico, s’étaient tous deux déclarés vainqueurs, la première par plus de 15 points sur son adversaire qui, lui, se disait gagnant par 5 points. C’est finalement Clara Brugada, qui l’a emporté.

« On ressent beaucoup de fierté »

Rencontrées le dimanche 2 juin en matinée dans divers bureaux de vote de la Ville de Mexico, des électrices ne cachaient pas leur joie de faire enfin l’histoire, avait constaté Le Devoir sur le terrain.

« On est très émues », a confié Cristina Navarrete, en s’excusant de sa voix éraillée parce qu’elle a « trop crié ». À sa dixième élection présidentielle, la dame de 76 ans, qui a voté dimanche matin dans sa circonscription, la même que Claudia Sheinbaum, au sud du Mexique, se réjouit de voir que les femmes, qui ont toujours été derrière les hommes, font un pas pour être maintenant côte à côte avec eux. « Et on peut même dire qu’on va passer devant eux ! » a-t-elle dit en riant, en avançant d’un pas.

« Quand ma mère est née, on n’existait pas, les femmes. On n’avait même pas le droit de vote. C’est arrivé en 1953 », a précisé la fille de Mme Navarrete, Elizabeth Sosa, étudiante en histoire. « C’est pour ça qu’on est tellement contentes. » La jeune femme dit venir d’une famille politisée, qui se réjouit du coup de barre donné à gauche au dernier mandat lorsque Andrés Manuel López Obrador, un aspirant de longue date au pouvoir, a finalement été élu. « La candidate de la droite a un discours très populaire pour se rapprocher des gens et elle promet des choses, mais elle n’est pas autant préparée. Elle représente une alliance de partis qui ont un passé corrompu. On n’y croit pas. »

Derrière, la petite rue étroite où les électeurs du voisinage étaient venus faire la file a rapidement pris des allures de procession, des centaines de médias — plus de 630 ont été accrédités pour couvrir la candidate de Morena — se massant autour de Claudia Sheinbaum, venue elle aussi pour voter. « Pre-si-denta ! Pre-si-denta ! » a scandé la foule. « On est contents que tu fasses la file comme tout le monde ! » a crié une dame.

S’adressant brièvement à la foule, Claudia Sheinbaum a confié qu’elle n’avait pas voté pour elle-même à la présidentielle, mais pour une pionnière de la gauche mexicaine, Ifigenia Martinez, 93 ans, en hommage à sa lutte. « Vive la démocratie ! » a-t-elle lancé.

Les candidats de l’opposition vont voter

De son côté, la candidate Xóchitl Gálvez avait également attendu longtemps en file sous un soleil de plomb, pour aller voter. « Je suis très optimiste », avait déclaré la candidate de l’opposition. L’ex-sénatrice de centre droit a déclaré pendant la campagne qu’elle misait sur un « vote caché » en sa faveur, qui aurait échappé aux sondages.

Tout au long de sa campagne, Xóchitl Gálvez, qui a des origines autochtones, n’a cessé de dénoncer l’échec de la politique de sécurité du gouvernement sortant, parlant de « 186 000 personnes assassinées et 50 000 personnes disparues » depuis 2018.

Le troisième candidat, Jorge Álvarez Máynez, 38 ans, a emmené son jeune fils dans l’isoloir pour une leçon de civisme. « C’est une démocratie imparfaite […], mais nous avons avancé en tant que pays », a déclaré le représentant du Mouvement citoyen (MC) après avoir voté.

Photo: Rodrigo Oropeza Agence France-Presse La candidate de centre droit, Xóchitl Gálvez, a voté à Mexico.

Une femme sera plus « sensible »

Plusieurs bureaux de vote ont ouvert avec du retard, soit après 8 h, en plusieurs endroits du pays, d’après des témoignages rapportés par Milenio TV. Dans la capitale, il a été très facile de repérer les bureaux de vote aux files interminables de votants qui s’allongeaient sur le trottoir.

Dans la Colonia Coyoacán, tout près de l’Université nationale autonome de Mexico (UNAM), deux bureaux de scrutin se faisaient face de part et d’autre d’une rue étroite. Ici, les rumeurs de vote étaient en faveur de Claudia Sheinbaum, et de son parti, Morena. « Je pense que c’est Sheinbaum qui va gagner », a dit Jenifer, sous une ombrelle. « Et je pense qu’elle va être meilleure que le président », a-t-elle ajouté dans un sourire.

À côté d’elle, son amie Verónica croit qu’une femme au pouvoir démontrera plus de sensibilité et qu’il y aura plus de changements. « Il faut en finir avec la délinquance ! » a-t-elle souligné. « Il faut plus de sécurité pour nous, les femmes ! »

Selon les données des Nations unies, environ dix féminicides se produisent chaque jour, surtout autour de la capitale et dans les États au nord du pays, gangrenés par le crime organisé.

Il était possible pour les Mexicains de voter pour une personne non enregistrée au scrutin, en écrivant simplement son nom dans un encadré. Plusieurs électeurs ont choisi d’inscrire le nom de personnes disparues ou assassinées, et ont diffusé une photo de leur bulletin de vote sur les réseaux sociaux.

La violence des cartels

La lutte contre la violence des cartels, des gangs et des bandes sera le premier défi de la future présidente, d’après Michael Shifter, chercheur au centre d’analyse Diálogo Interamericano, dont le siège est à Washington.

Au total, quelque 450 000 personnes ont été assassinées depuis 2006, quand l’ex-président Felipe Calderon a envoyé l’armée contre les cartels.

Mme Sheinbaum avait promis de poursuivre la politique actuelle, qui consiste à s’attaquer aux causes de la violence plutôt que de miser sur la répression, tout en luttant contre « l’impunité ». Quant à elle, Mme Gálvez avait déclaré qu’elle voulait en finir avec les « accolades » aux cartels.

Plusieurs postes à renouveler

Les électeurs étaient également appelés à renouveler le Congrès et le Sénat, à choisir les gouverneurs dans 9 des 32 États et à désigner des députés locaux et maires. En tout, 20 000 postes étaient à pourvoir lors de ces élections à un tour.

Presque partout au pays, dans les deux jours qui précèdent les élections, les commerces n’ont pas eu le droit de vendre de l’alcool, comme l’interdit la « loi sèche ». Certains restaurants permettent à la clientèle de boire un verre, s’il est accompagné d’un repas.

Avec l’Agence France-Presse

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

Photo: Lisa-Marie Gervais Le Devoir La « loi sèche » interdit aux commerces du Mexique de vendre de l’alcool dans les deux jours qui précèdent les élections.

À voir en vidéo