Les Mexicains appelés à choisir entre continuité et renouveau

Une importante foule était rassemblée mercredi au Zócalo, une place publique au centre de la ville de México, pour assister à l’allocution de clôture de campagne de la favorite Claudia Sheinbaum.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Une importante foule était rassemblée mercredi au Zócalo, une place publique au centre de la ville de México, pour assister à l’allocution de clôture de campagne de la favorite Claudia Sheinbaum.

À la veille des élections mexicaines, où une femme sera vraisemblablement élue à la tête du pays pour la première fois de son histoire, que choisiront les 98 millions de Mexicains appelés aux urnes ? Le « renouveau » que prétend incarner Xóchitl Gálvez, ou la « continuité » dont s’enorgueillit Claudia Sheinbaum, dauphine de l’actuel président ? Même si les sondages donnent cette dernière gagnante, ses adversaires ne perdent pas espoir.

« Amis, amies. On va faire l’histoire et on se voit ici le 2 juin pour célébrer la victoire ! » Mercredi en fin de journée, résonnant parmi la foule à la fois compacte et survoltée du Zócalo, l’allocution de clôture de campagne de la favorite Claudia Sheinbaum, livrée sur un ton solennel, a des airs de discours de victoire. « Pre-si-denta ! Pre-si-denta ! » scandent en retour ses partisans.

Debout à côté d’une délégation d’enseignants, Maria Isabel Martínez, coiffée d’une casquette du parti Morena, votera pour la continuité. « J’aime Claudia parce qu’elle est préparée et qu’elle va continuer avec le projet du président [Andrés Manuel] López Obrador, qui travaille pour les pauvres », soutient avec enthousiasme cette enseignante d’espagnol au secondaire. « C’est sûr qu’elle va gagner. »

Pas si vite, diront certains. Carlos Heredia, économiste et professeur associé au Centre de recherche et d’enseignement économiques de México, ne s’étonne pas que la candidate à la présidence, surtout connue pour avoir été la mairesse de la capitale lors d’une période faste, ait eu « l’arrogance » de se considérer comme « la présidente en attente » (« en espera »). « Elle avait la certitude qu’elle deviendrait présidente. Non pas à cause du vote populaire, mais plutôt en raison du fait qu’elle a été choisie par López Obrador », fait remarquer le chercheur, qui a aussi été député au Congrès mexicain pour le PRD et qui a occupé divers postes de direction pour le gouvernement et la Ville de México.

Ancienne mairesse de México, Claudia Sheinbaum fait figure d’élève modèle en promettant la continuité de ce sexennat qui s’achève. Certains l’accusent même de n’être qu’un clone du président sortant, fondateur de Morena. « Quelle sorte de Claudia Sheinbaum on aura si elle gagne ? On ne le sait pas. On ne connaît qu’une seule Claudia, qui est 100 % subordonnée à ce que M. López Obrador décide », indique Carlos Heredia.

Une bonne campagne pour Xóchitl

Sur le terrain de baseball de Los Reyes La Paz, municipalité de 230 000 habitants située en banlieue de la capitale, une pluie de confettis verts, blancs et rouges tombe du ciel dans un nuage de fumée rose. Rose comme la couleur que la candidate Xóchitl Gálvez et ses partisans, « la marée rose », ont adoptée pour représenter la coalition Fuerza y Corazón por México, qui unit trois partis auparavant rivaux — le PRI, le PAN et le PRD (PRIANRD).

« Ici, les Mexicains, on est avec Xóchitl Gálvez, hurle Angela Rodriguez pour enterrer le bruit de la foule. López Obrador a eu sa chance et il a brisé le système de santé. Il nous a menti. Xóchitl va nous régler tout ça. »

Photo: Adil Boukind Le Devoir Une pluie de confettis verts, blancs et rouges tombe du ciel lors du rassemblement de fin de campagne de Xóchitl Gálvez.

Sur scène, entourée presque exclusivement de candidates féminines, la candidate à la traîne dans les sondages a décoché quelques flèches vis-à-vis du gouvernement au pouvoir, dénonçant « ses mensonges ». « Ne croyez pas ceux qui disent que [l’autre camp] a déjà gagné, a-t-elle lancé, dans un concert de clochettes. Le 2 juin, tout le monde au vote ! On va gagner, ayez espoir. Dieu est avec nous, et si Dieu est de mon côté, qui peut être contre moi ? »

Selon Carlos Heredia, Xóchitl Gálvez a mené une bonne campagne malgré le fait qu’elle ne se destinait pas du tout à se lancer dans cette présidentielle. Mais elle a passé trop de temps « à se chercher ». « Elle disait plein de choses positives pour la démocratie, mais c’est seulement vers la fin de la campagne électorale qu’elle a clarifié son message, en demandant aux gens de choisir entre la continuité et le renouveau. »

Les attentes à l’égard de la candidate du PRIANRD ont été très élevées, mais elle y a quand même très bien répondu, ajoute le chercheur. « Elle est devenue une véritable leader. Et même si elle ne devient pas présidente, elle va continuer à jouer un rôle important […] dans la société mexicaine. »

Le vote caché

À México, la capitale, où les températures tendent à baisser après des chaleurs records, les pancartes électorales ont ravi le moindre espace qui n’avait pas encore été occupé par la publicité. Pas de doute — un aveugle pourrait presque le voir —, les Mexicains sont en élections, lâche en rigolant le chauffeur de taxi qui nous ramène dans la capitale. « Il y a de la fébrilité, mais toujours beaucoup de tension », s’inquiète-t-il. En raison des menaces du crime organisé dans certains secteurs, des gens pourraient être découragés d’aller voter.

Au dernier jour de la campagne électorale, le 29 mai, un candidat à la mairie de Coyuca, ville de l’État du Guerrero, a été assassiné par balle lors d’un bain de foule. Il s’agirait du 24e assassinat d’une personne candidate, selon les données du gouvernement, mais une trentaine auraient été tuées depuis le début de la campagne, selon l’organisation Data Civica.

La présence de cartels influe aussi sur les sondages, croit Carlos Heredia. « Il y a des régions entières du Mexique, notamment dans le nord, le long de la frontière américaine, où [les sondeurs] ne peuvent pas aller. Leur travail est compliqué », a-t-il dit. « Les gens ont peur de répondre de manière franche aux sondages, et ça génère ce qu’on appelle le vote “caché”. » Le parti Morena, qui contrôle une vingtaine d’agences de sondage, selon lui, contribuerait aussi à biaiser les résultats.

Selon un sondage publié par El Financiero au début mai, 70 % des répondants n’ont pas confiance… dans les sondages. Plus récemment, un autre a révélé que les Mexicains certains d’aller voter étaient divisés à 50-50 sur la possibilité que l’élection soit déjà décidée.

« On pourrait avoir des surprises, dit Carlos Heredia. Car neuf États, dont six d’entre eux, dont la Ville de México, sont parmi les plus peuplés, feront élire leurs gouverneurs. » Bien que Morena ait prétendu tous les remporter, il pourrait ne gagner que deux d’entre eux, selon le chercheur. « Si l’on transpose ça au niveau national, ce serait pratiquement impossible pour Morena d’avoir la supermajorité des deux tiers. »

D’après lui, le vote sera « beaucoup plus serré » que ce que prétendent les sondages actuels, qui donnent 53 % des intentions de vote à Claudia Sheinbaum, contre 38 % pour Xóchitl Gálvez. Avec 8 %, le troisième candidat, Alberto Máynez, qui a connu une fin de campagne tragique alors que des vents violents ont fait neuf morts et une centaine de blessés dans l’un de ses rassemblements, n’aura guère su s’élever au-delà des pronostics. « Il y a encore beaucoup d’incertitudes. »

Ce qui est certain, en revanche, c’est que pour la première fois de l’histoire, une femme sera vraisemblablement élue à la tête du Mexique. Et ce n’est que du bonheur pour Carmen García. « On va faire l’histoire. Ça fait combien d’années que les femmes luttent pour faire valoir leurs droits ? » a lancé la militante LGBTQ+ de 21 ans, qui s’apprête à voter pour la première fois à une présidentielle. « Ça va être notre moment. Enfin. »

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

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