La cinéphilie de résistance des ciné-clubs québécois
Ils passent inaperçus, ou presque. Ils sont pourtant des acteurs essentiels du milieu culturel. Le Devoir propose une série de portraits de métiers de l’ombre, à travers les confidences de professionnels qui les pratiquent ou qui les ont déjà pratiqués. Aujourd’hui : les programmateurs de ciné-clubs.
Michel Cadieux n’est pas le genre de néorural qui s’installe en région sans s’impliquer dans sa communauté d’adoption — bien au contraire. Depuis qu’il a quitté Montréal pour s’établir à Maria, au bord de la baie des Chaleurs, il y a une dizaine d’années, il a fait découvrir des films d’auteur à des milliers de ses concitoyens, à la barre de la programmation de Cinétoile, à Carleton-sur-Mer.
Partout au Québec, des bénévoles comme lui travaillent plusieurs heures par semaine au sein des ciné-clubs dans le seul but de partager leur passion pour le septième art. Un véritable acte de résistance face au monopole des multiplexes. À l’extérieur des grands centres, leurs efforts se révèlent carrément indispensables pour bien des cinéphiles.
« À Montréal, je ne travaillais pas dans le milieu du cinéma, mais j’étais cinéphile, soutient M. Cadieux, qui fut président de la Société québécoise de spéléologie dans une autre vie. Quand on est arrivés en Gaspésie, mon ex-femme et moi, on a rapidement été sensibilisés au fait qu’il y avait peu de cinémas dans la région. Je voulais mettre mes expériences en gestion au profit d’une bonne cause. »
« Cinémas parallèles »
Cinétoile fait partie du Réseau Plus de l’Association des cinémas parallèles du Québec (ACPQ), qui compte une cinquantaine de membres actifs. Il s’agit d’une structure unique, où l’ACPQ, appuyée financièrement par la SODEC, propose aux membres du réseau de négocier pour eux les droits des films auprès des distributeurs et de les aider dans leurs choix de programmation.
« On aime dire qu’on est des facilitateurs, résume Éric Perron, coordonnateur du Réseau Plus. Les gens qui nous contactent ont un véritable désir de faire découvrir du cinéma de qualité qui se démarque par rapport aux salles commerciales, mais ils n’ont pas toujours le temps et les ressources nécessaires pour le faire. »
M. Perron explique que ses membres organisent en moyenne 20 projections « facilitées » par l’ACPQ par année, et que 53 % des films présentés sont québécois. « C’est incroyable », dit-il, soulignant du même coup que 87 000 spectateurs au total ont assisté à ces projections l’an dernier.
En ville comme en région
Si la frustration face au manque de cinémas d’art et essai dans les régions éloignées a fait naître plusieurs ciné-clubs au Québec, c’est tout de même à Montréal que l’association compte le plus grand nombre de membres. Ciné-Quartier, autrefois Ciné-Verdun, connaît une expansion fulgurante depuis sa fondation en 2018 par Diya Angeli.
« Je suis partie d’un constat personnel : j’habitais à Verdun et je n’allais plus voir les films qui prenaient l’affiche au centre-ville de Montréal parce que ça me prenait souvent trop de temps pour rentrer à la maison après coup, raconte-t-elle. Un jour, j’ai frappé à la porte d’une église sur la promenade Wellington, et un prêtre m’a permis d’y organiser ma propre projection, gratuitement. L’engouement que ça a suscité m’a fait comprendre qu’il y avait un réel besoin pour du cinéma de proximité, même à Montréal. »
C’est pourquoi en 2019, Mme Angeli obtient le statut d’OBNL pour Ciné-Verdun et s’associe à l’ACPQ. Elle commence rapidement à projeter des films de fiction au Quai 5160 – Maison de la culture de Verdun. L’année suivante, elle présente des documentaires sur l’environnement dans les serres municipales du quartier, ainsi qu’une série estivale sur le toit du stationnement Éthel.
« J’ai toujours voulu associer mes choix de programmation à des lieux inusités », dit-elle. Ainsi, en 2022, elle s’associe au Festival international du film sur l’art de Montréal pour présenter des films sur l’art à la chapellerie Harricana. La même année, son organisme change de nom pour Ciné-Quartier, car il présente de plus en plus de films dans d’autres secteurs, dont Côte-des-Neiges, LaSalle, Villeray, Saint-Lambert, Verchères et Vaudreuil, entre autres.
Pour l’amour du public
Michel Cadieux, Éric Perron et Diya Angeli sont unanimes : les ciné-clubs se démarquent non seulement par la rareté des films qu’ils présentent, mais aussi par l’esprit de communauté qui émane des projections. « Au Quai 5160, on invite même le public à participer au choix des films, explique Mme Angeli. Dans des quartiers comme Côte-des-Neiges, c’est aussi très beau de voir comment le public de nouveaux arrivants s’enthousiasme à l’idée d’apprendre sur la culture québécoise à travers le cinéma d’ici. »
Diya Angeli, qui reçoit des étudiants de tous horizons à ses événements, se félicite d’ailleurs de pouvoir faire mentir le préjugé selon lequel les ciné-clubs n’accueillent que des clientèles plus âgées. La plupart des premiers ciné-clubs du Québec, au milieu du XXe siècle, étaient même tenus par de jeunes cinéphiles dans des églises ou sur des campus universitaires.
« Ce sont surtout les films qui ont changé depuis cette époque-là, indique Éric Perron. Alors qu’avant, on présentait des classiques ou des films d’art et essai plus pointus, aujourd’hui, on mise sur une plus grande variété de nouveautés et sur le cinéma québécois, parce que ces films-là ne pourraient pas être vus autrement. Heureusement, il existe encore des gens qui croient que la meilleure manière de voir un film, c’est sur grand écran. »