De l’art de tirer le portrait

En signant une commande pour le parlement québécois, Rosalie Gamache marchera dans les pas de grands noms de la peinture d’ici.
Valérian Mazataud Le Devoir En signant une commande pour le parlement québécois, Rosalie Gamache marchera dans les pas de grands noms de la peinture d’ici.

Ils passent inaperçus, ou presque. Ils sont pourtant des acteurs essentiels du milieu culturel. Le Devoir propose une série de portraits de métiers de l’ombre, à travers les confidences de professionnels qui les pratiquent ou les ont déjà pratiqués. Aujourd’hui : les peintres portraitistes.

L’automne prochain, la peintre Rosalie Gamache immortalisera sur toile les traits de Jacques Chagnon, ancien président de l’Assemblée nationale de 2011 à 2017. Pour lui, ce sera un moyen de commémorer son passage en politique. Pour elle, un premier tableau pour la prestigieuse institution, l’une des rares au Québec, sinon au Canada, à commander des portraits officiels.

L’artiste de 30 ans marchera dans les pas de grands noms de la peinture d’ici comme Ozias Leduc, Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté ou, plus récemment, Jean Paul Lemieux, qui ont tous signé des commandes pour le parlement québécois.

« La collection de l’Assemblée nationale, c’est assez prestigieux. C’est un défi pour moi de prendre cette commande et de la faire à ma manière », explique la volubile jeune femme, rencontrée chez elle, dans son atelier lumineux du quartier Villeray.

Dans un univers où la photo et l’art conceptuel dominent, les peintres portraitistes sont peu nombreux au Québec. Tenants d’un art figuratif parfois jugé dépassé, ils sont pourtant les gardiens d’une tradition picturale pluriséculaire.

Depuis la fermeture des écoles de beaux-arts de Montréal (1969) et de Québec (1970), il est ardu pour les aspirants portraitistes d’apprendre leur art. Les techniques nécessaires, ils doivent les acquérir par des cours privés, du mentorat ou carrément en autodidacte.

« Malheureusement, ces connaissances ne sont plus vraiment accessibles dans un parcours scolaire classique, par le cégep et l’université. On ne travaille plus sur le fait de représenter ce qu’on voit de la façon la plus fidèle possible, mais plutôt dans une approche multidisciplinaire et conceptuelle. C’est très bien, car je voulais aussi aller chercher une réflexion sur mon travail et la façon dont il s’enracine dans l’histoire de l’art, mais le savoir-faire technique, je ne pouvais pas l’avoir à l’université », explique Rosalie Gamache, qui a choisi de parfaire ses talents à Florence, après des passages au cégep du Vieux Montréal et à l’Université Laval.

En Italie, elle a passé une année à se spécialiser dans le portrait, dans la plus pure tradition classique, travaillant avec un nouveau modèle chaque jour et apprenant dans ses moindres détails les secrets de l’anatomie du corps humain et du visage.

À son retour, elle a également pu compter sur le mentorat de Denis Jacques, fondateur de l’Académie des beaux-arts de Québec, une école d’enseignement privée consacrée à l’art figuratif.

Denis Jacques a signé plusieurs portraits de personnalités de la Vieille Capitale, dont Louise Harel, ancienne présidente de l’Assemblée nationale, les maires Régis Labeaume et Andrée Boucher, ou encore Mgr Maurice Couture, ancien archevêque de Québec.

À bientôt 70 ans, il a consacré presque toute sa vie au portrait et à l’art figuratif. Des maîtres comme lui, il y en a très peu au Québec, précise-t-il. Le manque d’enseignement y est pour quelque chose, mais aussi les qualités uniques et la persévérance que le métier requiert.

« Beaucoup de gens font des portraits, mais être un bon portraitiste, c’est une autre histoire. Il faut pratiquement être né pour ça. Ça prend des qualités d’observation et d’empathie, des compétences techniques et beaucoup d’expérience. Il faut une maîtrise complète, pour ne pas avoir en tête des préoccupations techniques. Tellement connaître son métier qu’on n’a qu’à se concentrer sur son modèle, aller chercher sa personnalité, son identité. »

Vingt fois sur le métier

Pour arriver à une telle maîtrise technique, plusieurs peintres passent, littéralement, par l’école de la rue. Le portrait de rue, offert aux touristes dans le Vieux-Québec ou le Vieux-Montréal, permet « un entraînement intensif » pour améliorer sa technique.

« Du matin au soir, je ne faisais que ça. J’ai pu réaliser des milliers de portraits comme ça, raconte Rosalie Gamache, qui a fait partie de l’Association des portraitistes de la rue Sainte-Anne, dans le Vieux-Québec, pendant 4 ans. On est vraiment dans la technique et l’exécution. C’est quasiment une performance. Il peut y avoir 25 personnes qui te regardent dessiner, il faut vraiment être capable de se concentrer et de travailler avec des modèles qui n’ont, pour la plupart, jamais fait ça dans leur vie. »

La relation avec le modèle est évidemment primordiale dans la réalisation d’un portrait, qu’il représente un grand personnage ou un quidam. Comme au temps de Rembrandt ou de Vermeer, la pose en atelier reste le meilleur moyen pour le peintre de capter l’âme de son sujet. L’utilisation de la photo numérique vient cependant diminuer le temps de pose nécessaire, au grand plaisir des modèles.

« Il faut vraiment que l’artiste rencontre son modèle et puisse échanger avec lui, croit Denis Jacques. C’est là que l’artiste va pouvoir éprouver l’identité de son modèle. Quand on regarde un bon portrait, on ressent pratiquement le même sentiment que si on est en présence de la personne elle-même. Pas au niveau du détail visuel, mais de l’émotion. C’est un peu magique. »

Une magie qui vaut la peine d’être préservée, selon Rosalie Gamache, qui place la figure humaine au centre de toute sa production artistique, même dans ses oeuvres plus personnelles et « actuelles ». Par exemple, sa série de tableaux Corps recouverts, présentement en cours, explore « le nu dans une posture queer ». La précédente, Costume, consistait en une série de portraits de membres de la communauté LGBTQ+ et remettait en question la dualité des identités et des genres.

« J’utilise une technique qui va puiser dans la tradition de la peinture, mais mes tableaux n’auraient pas pu être peints il y a 500 ans, dit-elle en parlant de ses peintures à l’huile. La rupture entre le modernisme et les beaux-arts a permis de faire avancer la réflexion sur l’art et a donné plein de choses magnifiques. Mais on ne devrait pas rejeter les techniques classiques pour autant. Le portrait est un savoir-faire important et il serait dommage qu’on le perde. »

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