Menace de grève à Fantasia
Une menace de grève des employés du festival Fantasia plane sur la 28e édition de l’événement cinématographique, qui doit s’ouvrir dans trois semaines. Les travailleurs, affiliés à un syndicat créé dans la foulée de la pandémie, refusent désormais de travailler à des conditions « qui ne leur permettent même pas de vivre ». Certains travailleurs de Fantasia sont rémunérés par un forfait qu’ils estiment équivalent à 5 $ l’heure.
Selon ce que Le Devoir a appris, les syndiqués du festival ont voté à l’unanimité, mardi soir, pour cinq jours de grève à exercer au moment jugé opportun. Le festival international de films doit avoir lieu du 18 juillet au 4 août 2024.
La présidente du Syndicat des employés de l’événementiel, affilié à la CSN, Geneviève Hutter, affirme que les travailleurs souhaitent la tenue du festival sans aucune perturbation, mais « pas au détriment des employés ». Un coup de barre s’impose pour mettre fin à la précarité qui règne à Fantasia, selon elle. « Les conditions actuelles ne nous permettent même pas de vivre. Les gens se donnent sans compter parce qu’ils aiment ça, mais la vocation, ça ne paye pas l’hypothèque. Le festival continue parce que les employés acceptent ces conditions-là, mais on ne peut plus les accepter. »
Le Syndicat des employés de l’événementiel a émergé en pleine crise des industries culturelles due à la pandémie de COVID-19. Les festivals ont été frappés durement par les confinements décrétés à compter du printemps 2020. L’explosion du coût de la vie des dernières années a aussi fait mal au milieu culturel. Les travailleurs des festivals, en bonne partie des pigistes et des contractuels, ont décidé de s’unir pour mettre fin à la précarité généralisée dans leur secteur.
« De tout temps, les travailleurs ont financé les festivals en n’exigeant pas de meilleures conditions. Dans bien des cas, ça devient ridicule », fait valoir Annick Charette, présidente de la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC-CSN).
Elle souligne que la « culture du bénévolat » est solidement implantée dans les festivals. L’organisme Événements Attractions Québec estime compter sur 36 000 bénévoles, soit 85 % de la main-d’oeuvre des événements. C’est bien d’avoir des bénévoles passionnés de culture, mais les travailleurs méritent un salaire décent, soutient la présidente de la FNCC.
Précarité généralisée
En plus de Fantasia, le Syndicat des employés de l’événementiel regroupe les travailleurs de deux autres festivals, qui ont déjà signé leurs premières conventions collectives. Il s’agit des employés de la Fondation Québec Cinéma et du Festival du nouveau cinéma (FNC).
Ces contrats de travail ont réduit la précarité en prévoyant notamment le paiement d’un nombre d’heures travaillées, et en encadrant le rappel des employés d’une année à l’autre, selon le syndicat. On trouve une part importante des travailleurs des festivals dans plusieurs événements. Ils reviennent chaque année dans chacun des festivals, qui se succèdent selon un calendrier établi à l’avance.
Au festival Fantasia, la soixantaine de travailleurs était traditionnellement rémunérée pour une somme forfaitaire déterminée, peu importe le nombre d’heures travaillées. Les négociations à Fantasia visent à établir un salaire horaire et un nombre d’heures payées pour chacun des postes qui, au sens de la loi, ne sont désormais plus occupés par des contractuels, mais par des salariés.
Par exemple, les assistants de production gagnent 2000 $ pour toute la durée du festival Fantasia. Leur mandat commence avant et se termine après le festival, de sorte qu’ils gagnent environ 5 $ l’heure, selon le syndicat.
Le syndicat réclame des salaires horaires entre 19 $ et 27 $, en fonction des types de postes. De son côté, la direction offre entre 16 $ et 22 $. Le salaire minimum est de 15,75 $ au Québec.
Finances fragiles
Le directeur général du festival Fantasia, Pierre Corbeil, affirme être « confiant » que les deux parties vont faire des « progrès significatifs » lors de la prochaine rencontre de négociation, prévue le 9 juillet — neuf jours avant l’ouverture du festival. « On ne remet pas en question qu’il va falloir changer. On n’a pas le choix, dit-il. On veut être le plus généreux possible avec les moyens qu’on a. On comprend que tout le monde doit vivre et payer son loyer. »
Les finances des festivals sont précaires depuis la fin de la pandémie, souligne Pierre Corbeil. Les gouvernements ont investi massivement pour soutenir les industries culturelles pendant les deux années de confinement, mais cette aide a pris fin dans la dernière année.
Le festival Fantasia a enregistré un déficit de 60 000 $ en 2022 et de 216 000 $ en 2023. Les subventions représentent environ 35 % des revenus de l’événement. Le surplus accumulé de Fantasia n’est que d’environ 100 000 $, selon son directeur.
L’unité d’accréditation syndicale comprenait 65 membres au moment de sa création, en septembre dernier, selon le syndicat. La direction estime que certains de ces travailleurs devraient rester des sous-traitants.