Lumière sur la réalité des «déserts médicaux» au Québec

L’hôpital de La Sarre, en Abitibi-Ouest, en 2019
Photo: Catherine Legault Archives Le Devoir L’hôpital de La Sarre, en Abitibi-Ouest, en 2019

Seuls 5 kilomètres séparent l’Hôpital général de Montréal de l’hôpital le plus près, mais presque 300 kilomètres séparent l’hôpital Le Royer de Baie-Comeau de celui de Chicoutimi. Lorsque par manque de personnel une urgence ferme en région, des milliers de citoyens se retrouvent dans un « désert médical ».

Johanne Tremblay vit à Forestville. Quand, en avril dernier, sa fille de 14 ans, atteinte d’une maladie qui cause l’atrophie musculaire, s’est blessée à la cheville à l’école, Mme Tremblay s’est d’abord présentée avec elle au CLSC de sa municipalité. Le service de radiologie était fermé. « On m’a dit que je pouvais attendre le lendemain, mais ma fille pleurait et pleurait », raconte la mère, deux mois après les événements. Elles se sont déplacées vers le prochain point de service le plus proche, aux Escoumins, 50 kilomètres plus loin.

« [À notre arrivée sur place], on nous a dit qu’il n’y avait pas d’orthopédiste et qu’il fallait aller à Chicoutimi. Ça, c’est un autre deux heures de route », explique Johanne Tremblay, en entrevue téléphonique avec Le Devoir. En raison de la nature de la maladie de sa fille, elle a finalement obtenu un transfert au CHU de Québec. Au total, la famille Tremblay a dû parcourir plus de 500 kilomètres pour soigner une fracture au pied.

« Ce n’est pas nouveau de devoir se déplacer pour recevoir des soins en région », explique Myriam Tardif-Harvey, médecin à l’hôpital des Escoumins. Les petits centres hospitaliers n’ont jamais eu les ressources nécessaires pour traiter toutes les urgences. « Mais on ne parle plus de 40 ou 50 kilomètres. Quand [on ferme] les urgences des points de service relativement centraux, comme celui des Escoumins ou de Forestville, ça peut représenter pour les patients des déplacements de 150 kilomètres pour des services de base. »

Qu’est-ce qu’un désert médical ?

L’expression « désert médical » provient de la France. Elle désigne une région où l’accès aux soins de santé est limité, en raison d’un manque de personnel ou d’un manque d’installations qui desservent le territoire.

Au Québec, l’Office québécois de la langue française la définit comme une « zone géographique dans laquelle il est très difficile, voire impossible, d’obtenir une consultation en raison de l’absence ou du nombre trop restreint de professionnels de la santé à proximité, ou de leur manque de disponibilité ».

L’utilisation de l’expression dans la province est souvent liée à des revendications d’accessibilité aux soins de santé dans les régions éloignées ou pour les populations rurales.

Mère de deux jeunes enfants, la Dre Tardif-Harvey vit cette réalité au-delà des murs de l’hôpital où elle travaille. Pour accoucher de son deuxième bébé, elle a été obligée de se faire héberger par des proches à Chicoutimi pendant quelques jours, l’hôpital des Escoumins n’offrant pas de service d’obstétrique. « C’est mieux que [d’accoucher] sur le banc de passager d’une voiture avec le conjoint dans la zone où il n’y a pas de réseau cellulaire entre Les Escoumins et Chicoutimi… »

Avec la fermeture des urgences et de certains blocs opératoires, plusieurs femmes ne peuvent pas donner naissance dans l’hôpital qu’elles avaient préalablement choisi. « Il y a des patientes qui ont dû se déplacer vers La Malbaie ou à Chicoutimi pour accoucher. C’est de longs trajets en ambulance », explique la médecin.

L’origine de la situation

Mais d’où vient le problème ? Comment se créent les déserts médicaux au Québec ? Est-ce dû à un manque de centres de services, à l’étendue du territoire peu densément peuplé ou plutôt à la pénurie de main-d’oeuvre ?

Depuis le mois de mai, la nouvelle législation du gouvernement Legault visant à abolir le recours aux agences privées en santé se fait lourdement ressentir dans certaines régions éloignées. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a affirmé qu’il garderait le cap malgré les déplacements de patients et les fermetures d’urgences dans les régions où la main-d’oeuvre indépendante était cruciale à leur bon fonctionnement.

Selon Lily Lessard, cotitulaire de la Chaire interdisciplinaire sur la santé et les services sociaux pour les populations rurales, « ce qui est dangereux au Québec, c’est le mur à mur. C’est l’idée d’avoir une politique qui couvre tout, quand il y a plusieurs réalités différentes ». Elle estime que la centralisation des services et l’uniformisation des mesures en santé au Québec ne prennent pas en compte les particularités de chaque région et favorisent l’apparition de déserts médicaux.

La chercheuse à l’Université du Québec à Rimouski note toutefois que ce n’est pas nécessairement la quantité de centres de services de santé dans une région précise qui indique la présence d’un désert médical. « [Dans le Grand Nord québécois], tu as tout le temps un médecin au bout du compte, tu as une caméra, tu as l’équipement nécessaire. La population est au courant aussi. Je ne parlerais pas de déserts médicaux dans ce cas. [Un désert médical apparaît] plutôt dans des situations où il y a des gens, il y a des services, mais ils ne sont pas nécessairement accessibles facilement. »

N’étant pas préparés à d’éventuelles réductions de services, certains territoires se retrouvent ainsi « à découvert ». Contrairement aux régions « très, très éloignées », dans certains territoires, « l’organisation des services n’est pas habituée à gérer des contextes de ruptures, dit Lily Lessard. [Ces déserts médicaux] occasionnent des stress vraiment très importants. Surtout pour des gens qui ont des conditions précaires. Ça met carrément à risque les populations. »

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