La loi perpétue une injustice envers les conjoints lorsque l’un d’eux est hébergé en soins de longue durée

«À plus d’une reprise, les médias ont fait état de la vétusté de cette règle qui conduit inexorablement le conjoint marié non hébergé à s’appauvrir et à s’endetter pour acquitter la facture mensuelle d’hébergement du conjoint en CHSLD», dit l’auteur.
Photo: Getty Images «À plus d’une reprise, les médias ont fait état de la vétusté de cette règle qui conduit inexorablement le conjoint marié non hébergé à s’appauvrir et à s’endetter pour acquitter la facture mensuelle d’hébergement du conjoint en CHSLD», dit l’auteur.

La personne hébergée en soins de longue durée et le conjoint marié doivent contribuer financièrement au coût d’hébergement dans un CHSLD public ou conventionné ou dans une ressource intermédiaire. Les règles actuelles de contribution financière peuvent difficilement s’appliquer au vécu conjugal de plusieurs personnes hébergées dans ces différentes installations. La Loi sur les services de santé et les services sociaux et son règlement d’application ont toujours énoncé expressément la responsabilité financière du conjoint marié et n’ont jamais été modifiés de manière à tenir compte d’autres arrangements conjugaux. Des couples ont demandé le divorce, à contrecoeur et avec déchirement, afin de ne pas subir cette ignominie.

Le Conseil pour la protection des malades (CPM) déplore que le ministre de la Santé n’ait pas saisi l’occasion de corriger cette situation, source d’iniquité pour plusieurs. Le projet de loi 15 du ministre Dubé, Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace, reprend en son article 659, mot pour mot, la responsabilité du conjoint marié. Or, depuis de nombreuses années, plusieurs représentants ou membres de famille d’usagers ont fait part de leur incompréhension et de leur entier désaccord face à cet aspect de la loi. À plus d’une reprise, les médias ont fait état de la vétusté de cette règle qui conduit inexorablement le conjoint marié non hébergé à s’appauvrir et à s’endetter pour acquitter la facture mensuelle d’hébergement du conjoint en CHSLD.

C’est le cas, au moins, de ce citoyen qui révélait à Radio-Canada, le 30 mai 2016, devoir assumer en partie les frais de sa conjointe atteinte de la maladie d’Alzheimer et hébergée en CHSLD. Le Protecteur du citoyen a dénoncé l’iniquité qui résulte de cette règle le 17 février 2014, puis est revenu à la charge dans un avis paru le 10 juin 2020. Il y fait un rapport détaillé des conséquences financières des règles inéquitables pour les couples mariés, mais également pour les conjoints de fait.

Le Protecteur du citoyen demande au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de mettre à jour sa réglementation afin d’alléger le fardeau des conjoints mariés et d’appliquer les mêmes règles aux conjoints de fait. En décembre 2020, la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, a apporté un certain soulagement aux conjoints mariés, sans toutefois modifier la définition du mot « conjoint » contenue dans la loi, qui exclut les conjoints de fait.

Plusieurs personnes se sont adressées au Tribunal administratif du Québec pour contester une décision qui fixait la contribution en tenant compte de la présence d’un conjoint marié, mais séparé souvent depuis plusieurs années. Plusieurs établissements se sont également plaints des décisions de l’administration qui responsabilisaient les conjoints séparés alors qu’il leur était souvent impossible de recouvrer quelque paiement de ceux-ci. Des conjoints de fait se sont également plaints du fait qu’on ne les considérait pas dans le calcul de la contribution, ce qui parfois leur causait un préjudice financier lorsque l’usager était le pourvoyeur principal du ménage.

Pour des raisons d’opportunité, le MSSS a décidé de ne pas modifier le texte de la Loi, mais d’assouplir son application au moyen d’une directive administrative de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), en vigueur depuis le 1e  avril 2001, afin de ne pas tenir compte des revenus et biens du conjoint lorsqu’il est impossible d’obtenir la collaboration de celui-ci et que la séparation de corps a été proclamée par la Cour. Malheureusement, cette directive conduit toujours des couples à s’adresser aux tribunaux pour obtenir un jugement en séparation de corps afin de profiter de l’allégement administratif promis. La directive continue d’exclure le conjoint de fait dans le calcul de la contribution.

Dans l’ensemble, la loi sur l’impôt ainsi que les lois sociales et leurs règlements reconnaissent le conjoint de fait aux fins de leur application. Il est plus que temps que le MSSS se modernise et mette fin à l’injustice sociale vécue par plusieurs conjoints ou conjointes dont l’état civil n’est pas celui de marié.

Pourquoi ne pas tout simplement avoir recours à la notion de « séparation involontaire » utilisée par la Sécurité de la vieillesse du Canada lorsque des conjoints deviennent séparés pour des raisons indépendantes de leur volonté ? Ce mécanisme facultatif permet aux conjoints mariés ou de fait, à leur demande, d’être considérés comme célibataires lors de l’évaluation de leurs revenus respectifs. Si la séparation involontaire a pour conséquence de désavantager l’un des deux, ils peuvent choisir de ne pas en faire la demande. Appliquer un tel principe serait simple et bénéfique pour la personne hébergée et le conjoint à domicile, sans égard à son état civil.

En conclusion, le CPM est d’avis que la volonté d’efficacité qui constitue l’intention principale de ce projet de loi n’aurait pas dû ignorer les iniquités créées par une définition du mot « conjoint » qui appartient à une époque révolue. La commission parlementaire du 7 décembre a malheureusement figé le sort des conjoints en moins de dix minutes en méconnaissant la problématique.

Pourtant, les unions libres représentaient, en 2021, 42 % des personnes vivant en couple. À cela s’ajoutent le vieillissement de la population et l’espérance de vie, qui contribuent à l’augmentation du nombre de personnes hébergées ayant un type d’union conjugale autre que le mariage. L’efficacité passe nécessairement par une modernisation de la notion de conjoint. Le fait de ne pas avoir agi sur cette question dans le projet de loi 15, adopté sous bâillon, démontre malheureusement qu’ici l’efficacité vise avant tout des changements structurels, qu’elle ne se traduit pas en solution concrète pour l’usager.

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