«Les règles du Mikado»: La petite et le vieux

C’est une rencontre improbable, a priori, comme le sont souvent les vraies rencontres.

Dans les Alpes italiennes, près de la frontière avec la Slovénie, un vieil horloger qui campe en solitaire dans les montagnes voit sa routine d’hiver bouleversée par l’irruption dans sa tente d’une squatteuse de 15 ans. Une jeune tsigane en rupture de ban qui a décidé de fuir sa communauté en refusant le mariage forcé qui l’attendait.

Une Rom « sauvage, agressive, en fuite », dira-t-elle plus tard d’elle-même, dont la famille possédait un ours savant et pratiquait la contrebande.

L’homme — qui a créé une fondation venant en aide aux sans-abri après s’être enrichi dans l’horlogerie — offre l’hospitalité à l’adolescente et va même décider de la protéger. Suivra une sorte de doux duel, entre taquinerie et complicité, avec une première partie constituée de nombreux dialogues, sur les hommes et la vie, l’amour, la vieillesse. « Être vieux, c’est comme bivouaquer tout en haut du bois, là où les arbres sont moins denses et où il y a plus de lumière. »

Ou encore sur la perception du temps : « Les montres sont des instruments de mesure, mais le temps c’est autre chose. Il va aussi bien au ralenti qu’à toute vitesse. »

Les deux protagonistes échangent leurs connaissances. Elle lui apprend des choses pratiques, il lui apprend à lire. C’est le premier acte du nouveau roman d’Erri De Luca, Les règles du Mikado.

Le « vieux » se passionne pour le Mikado, qu’il pratique en solitaire et auquel il va initier l’adolescente. Ce jeu d’adresse implique une quarantaine de longues baguettes effilées qu’on laisse tomber sur le parquet en éventail avant de retirer une à une les baguettes sans faire bouger les autres. On se doute bien que la métaphore n’est jamais loin. Et tout comme au Mikado, où il faut « agir sans rien faire bouger », dans la vie, il est préférable d’« agir doucement sans attirer l’attention ».

Parmi les règles du Mikado, il est aussi permis de s’aider d’une baguette pour en ramasser une autre.

Né en 1950 à Naples, dans le sud de la botte italienne, Erri De Luca est l’auteur de plusieurs petits livres souvent polis comme des galets, qui prennent régulièrement pour décor les rues, les personnages et les motifs de son enfance — Tu, mio, Le contraire de un, Acide, arc-en-ciel ou Montedidio (prix Femina étranger en 2002).

Mais pas son petit dernier, Les règles du Mikado. Il s’agit tout de même d’un livre dense, court et tendu comme les autres. Y résonnent avec force les engagements humanitaires bien connus de l’écrivain — notamment avec Lotta Continua et avec Médecins sans frontières.

La seconde partie de ce roman aux sentiers qui bifurquent raconte, avec une part de surprises pour les lecteurs, ce qui va arriver plus tard aux personnages, tous les deux sans noms et tous les deux à leur manière transformés par cette rencontre. La vraie rencontre, semble nous dire Erri De Luca, maître du jeu, ne survient qu’entre des gens très différents, que tout sépare.

Une belle leçon d’accueil, d’entraide et d’ouverture.

Les règles du Mikado

★★★ 1/2

Erri De Luca, traduit par Danièle Valin, Gallimard, Paris, 2024, 160 pages

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