La question nationale passe par Washington

Les États-Unis se montrent déjà moins en mesure d’assurer leur mainmise sur les affaires intérieures de leurs voisins, observe l’auteur.
Photo: Paul Vasarhelyi Getty Images Les États-Unis se montrent déjà moins en mesure d’assurer leur mainmise sur les affaires intérieures de leurs voisins, observe l’auteur.

De Hubert Aquin à Maurice Séguin et à Jean Bouthillette s’est installée la présomption que la nation québécoise porterait en elle-même les raisons de son échec en tant que pays. Même s’ils attribuent leur insuccès au gouvernement fédéral canadien, les souverainistes se retrouveraient devant un miroir réfléchissant leur propre image, de Trudeau à Chrétien à Trudeau…

Jamais pourtant il ne traversera l’esprit de quiconque d’invoquer pareille pathologie pour expliquer l’échec patent d’autres nations non souveraines, tels la Catalogne, l’Écosse, le Tibet ou la Kabylie. On conviendra que l’impasse vient en fait du refus obstiné d’une puissance à accorder une quelconque forme d’indépendance à une de ses composantes. À l’inverse, s’il est vrai que l’Afrique, l’Europe orientale et l’Asie centrale se sont couvertes de nouveaux États souverains depuis soixante ans, cela ne s’explique pas davantage par des explications psychologisantes dont on se berce pourtant pour expliquer le cas québécois.

Et si la meilleure explication au non-aboutissement québécois n’avait rien d’atavique, mais logeait plutôt dans le fait que l’Amérique du Nord est plongée depuis bientôt deux siècles dans un véritable congélateur géopolitique ?

Les contours actuels des États d’Amérique du Nord se fixent en gros au milieu du XIXe siècle autour de la volonté des États-Unis d’aménager leur pré carré. Au nord, le traité Webster-Ashburton de 1842 sert d’abord aux Étasuniens à régler des contentieux territoriaux avec la Grande-Bretagne, grosso modo en fixant la frontière le long du 49e parallèle, de sorte de se donner les mains libres au sud afin d’écraser le voisin mexicain, entre 1846 à 1848, et d’accroître d’un coup la superficie de l’Union de 30 %, de l’Oregon à l’Arizona.

De 1861 à 1865, la sécession de sept États du sud constitue l’ultime menace à l’ordre continental imposé par Washington. Or, on sait combien le prix à payer fut élevé afin de rétablir l’unité et à quel point les Américains entretiennent depuis le culte d’une Union indivisible et figée pour l’éternité. Certes, les États d’Amérique ont continué à évoluer : le Mexique a connu son lot de révolutions et Cuba a même adopté un régime communiste. Néanmoins, à l’instar de l’Asie et de l’Afrique, qui vont, entre-temps, éclater en une myriade d’États, rien n’a depuis changé sur le continent de l’Oncle Sam.

Menace à la stabilité

Peu de chercheurs se sont penchés depuis Jean-François Lisée (Dans l’oeil de l’aigle. Washington face au Québec, Boréal, 1990) sur la détermination des États-Unis, tant sur le plan diplomatique, économique que culturel, de préserver l’unité et l’intégrité territoriale du Canada. Les déclarations successives des Clinton ou Obama en faveur d’un Canada « ami et uni » rappellent pourtant régulièrement l’importance que l’Oncle Sam accorde à la stabilité politique du continent, surtout s’il doit entre-temps intervenir sur des points autrement chauds ailleurs dans le monde.

Force est donc de constater le rôle que la puissance américaine, et en particulier le tandem Ottawa-Washington, a pu historiquement jouer afin que jamais le nationalisme québécois ne débouche sur la création d’un nouvel État souverain qui aurait aussitôt été perçu comme une menace à la stabilité dans la région.

Or, les États-Unis connaissent présentement une période de perturbation susceptible de miner leur vigilance à propos de ce qui se passe ailleurs sur le continent ; que Donald Trump soit ou non élu cet automne, les États-Unis se montrent déjà moins en mesure d’assurer leur mainmise sur les affaires intérieures de leurs voisins, surtout s’ils sont emportés par une vague isolationniste que le milliardaire new-yorkais appelle de tous ses voeux.

Dans ce contexte, quelle place occupera l’unité canadienne au regard des enjeux intérieurs ? Quelle importance par exemple un gouvernement Trump accorderait-il à préserver coûte que coûte l’unité du Canada de Justin Trudeau ? Bref, l’élection la plus susceptible de rebrasser les cartes au Québec n’est peut-être pas celle qu’on pense. À l’horizon des scrutins fédéraux et provinciaux de 2025-2026, il se pourrait bien que l’élection à surveiller du point de vue québécois soit celle de novembre prochain qui désignera le prochain président des États-Unis.

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