Prendre le temps d’être père

Je suis né en 1990. Par un heureux hasard, c’était un samedi. À l’époque, mon père a donc pu être auprès de nous le dimanche avant de retourner au travail le lundi. Un jour. Il aura eu droit à un jour de congé grâce au hasard du calendrier.
En cette Semaine québécoise de la paternité, il me paraissait important de faire part du fait que plus de 30 ans plus tard, c’est une tout autre histoire qui peut s’écrire au Québec.
Au mois d’avril, un petit coco est entré dans ma vie et je prends du temps, jusqu’à début octobre, pour vivre ses premiers mois de vie à trois.
On ne va pas se le cacher : en 2024, c’est une chance de vivre sur un territoire qui accorde aux familles un congé maternité, paternité et parental aussi important. En théorie, quelle avancée à la portée de toutes les familles !
En pratique, même si nous, papas québécois, sommes de plus en plus nombreux à prendre un temps d’arrêt dès les premiers jours de nos tout-petits, il se dresse encore plusieurs obstacles qui privent toujours de nombreuses familles de se construire ensemble.
Tout d’abord, administrativement, pourrait-on penser à un congé plus long, plus équitable et plus juste économiquement ? Vive le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), mais tellement d’autres avancées pourraient être faites pour moderniser le régime. Car oui, les inégalités demeurent jusque dans l’aventure parentale, et je suis conscient de faire partie des privilégiés qui peuvent s’arrêter aussi longtemps. Pourquoi ? Grâce à une égalité de revenus entre ma conjointe et moi-même et au fait que nous soyons tous deux dans des emplois nous permettant de vivre plus que confortablement.
À quand un RQAP qui permettrait aux pères (ou aux seconds parents) de s’arrêter avant la naissance pour préparer l’arrivée de bébé ? À quand un congé parental d’un an pour les deux parents assorti d’un montant d’indemnisation minimum convenable pour toutes et tous, peu importe le salaire annuel de base ? Ne serait-ce pas une belle manière d’assurer la sécurité affective et financière de nos tout-petits pendant leur première année de vie, qui plus est dans un contexte de pénurie de places en service de garde ?
À quand un RQAP qui prendrait en compte le revenu familial plutôt que les revenus individuels, quand on sait qu’en majorité, ce sont les femmes qui gagnent moins que leur conjoint, et que, de facto, ce sont les hommes qui retournent au travail plus tôt pour assurer la pérennité du revenu familial ?
Ensuite, socialement, pourrions-nous continuer de faire évoluer la norme afin que les papas prennent un congé paternité et un congé parental partagé au moins à temps égal ? S’investir dans l’éducation de son tout-petit ne devrait pas être un choix, et si l’on souhaite que les papas prennent leurs responsabilités à parts égales, il faut s’organiser pour qu’ils embrassent ce rôle. À quand des milieux professionnels sensibilisés qui ne sous-entendent pas que l’idée de partir en congé paternité fait peser un trop gros poids sur les équipes ?
Face à des discours masculinistes souvent trop présents, à quand de plus en plus d’hommes qui portent haut et fort la volonté de s’éloigner de l’image paternaliste de l’homme pourvoyeur ? À quand davantage d’entre eux qui acceptent l’idée que développer des compétences et des connaissances parentales est essentiel et n’a pas à être mis en opposition avec celles de savoir réseauter, s’occuper d’un char ou jouer au hockey ? À quand de plus en plus d’hommes qui n’ont pas peur d’apprendre à être pères, malgré le manque de modèles ?
Même si j’ai la chance de travailler dans le domaine de la petite enfance et d’avoir toujours eu le soutien de l’équipe de la Fondation Olo, toutes ces questions m’ont habité avant que je prenne ce congé paternité et parental. Ce sont autant d’obstacles qui auraient pu faire en sorte que je sois déjà de retour au travail alors que mon tout-petit se développe, et que je puisse ne pas être là pour le voir faire et apporter ma contribution au sein de ma famille. En somme, prendre mon rôle à coeur.
Mon fils est né en 2024. Par un heureux hasard, c’était un lundi. À notre époque, je peux prendre près de six mois pour l’accueillir et le voir grandir semaine après semaine. Où en sera-t-on dans 30 ans si l’on continue de normaliser et de valoriser ce qui doit l’être pour le développement de nos tout-petits et d’une société plus juste, équitable et heureuse ?
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.