La peur est collective dans ce pays incertain

«Oui, le risque colle toujours à la peau du beau, mais il ne devrait pas faire trembler les Québécois qui ont le droit, eux aussi, à l’aventure», écrit l’auteur.
Photo: iStock «Oui, le risque colle toujours à la peau du beau, mais il ne devrait pas faire trembler les Québécois qui ont le droit, eux aussi, à l’aventure», écrit l’auteur.

Dans sa dernière semaine d’entrevues avant les vacances estivales, le premier ministre du Québec a affirmé que « la pire chose qui pourrait arriver, c’est de perdre un troisième référendum sur la souveraineté ».

Au-delà du fait que c’est fort probablement inexact comme postulat, quand on l’entend s’exprimer ainsi, il est difficile de ne pas conclure que François Legault est rongé par la peur.

Évidemment, la tentation est forte d’ostraciser le premier ministre, de rappeler son passage au Parti québécois et de faire remarquer que son allégeance fédéraliste est sans doute la preuve qu’il se dégonfle spectaculairement.

Mais ce serait un peu injuste de s’arrêter là.

Car la peur ne fige pas seulement les os de François Legault. La trouille est collective dans ce pays incertain, et le premier ministre du Québec n’en est que l’expression banale.

L’été, on le sait, est une période idéale pour plonger dans des livres. Et si la dernière sortie de François Legault nous inspirait donc quelques lectures de circonstance ? Des lectures pas particulièrement légères, mais qui permettraient de mieux saisir l’ampleur de ce qu’est la peur québécoise.

Relisons Maria Chapdelaine. Dans ce roman publié en 1913, la jeune Maria doit choisir entre trois prétendants. Il y a François Paradis, le coureur des bois qui promet de la faire rêver. Il y a Lorenzo Surprenant, l’homme du déracinement qui l’emmènerait vivre aux États-Unis. Puis, il y a Eutrope Gagnon, l’homme de la terre, mais pas n’importe laquelle : celle d’à côté, tout juste.

Maria choisira Eutrope. L’aventure, après tout, ce serait pour les autres.

Relisons Trente arpents. Euchariste Moisan est un agriculteur dépassé, effrayé par la modernité au tournant du vingtième siècle.

Alors, au lieu de se battre pour demeurer propriétaire, il finira ses jours comme employé dans un garage un peu perdu aux États-Unis. C’est que l’aventure, ce serait pour les autres.

La littérature québécoise est traversée par la peur. Celle de Donalda dans Un homme et son péché. Elle refuse la main d’Alexis, qui ne lui promet pas exactement de fuir. Il lui promet un autre horizon. Mais l’aventure, encore une fois, ce serait pour les autres.

Avant la grande conférence de Jean-Charles Harvey sur le thème de la peur devant l’Institut démocratique canadien de Montréal en 1945, François Hertel, un écrivain oublié, observait déjà dans les années 1930 que les Canadiens français avaient un exercice de conscience à entreprendre : « Ils ont tellement la mentalité de leurs pères dans le sang : la peur, le défaitisme, le lâchage, le sentiment de notre infériorité. »

Dans ce livre nommé Le beau risque, il ajoutait que la côte est abrupte à gravir.

Près de cent ans plus tard, nous sommes encore au milieu de la côte, mais ce risque que constitue, il est vrai, l’exercice référendaire — et plus largement l’indépendance — est toujours aussi beau. À vrai dire, il a même trouvé le moyen d’embellir.

Oui, le risque colle toujours à la peau du beau, mais il ne devrait pas faire trembler les Québécois qui ont le droit, eux aussi, à l’aventure.

De toute façon, le vrai risque — celui qui n’a rien de beau —, c’est de s’entêter à jouer avec le feu.

Car il faut le répéter : le fédéralisme et sa pirouette en forme de troisième voie, c’est jouer avec le feu.

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