Glisser du français vers l’anglais

La terrasse d’un café dans le Mile End, à Montréal
Photo: Alain Rouiller Creative Commons La terrasse d’un café dans le Mile End, à Montréal

J’entends souvent dire que le français n’est pas en déclin, que le gouvernement se trompe, que c’est la particularité des langues vivantes d’évoluer. Les gens disent que la Coalition avenir Québec utilise cet argument pour freiner l’immigration. Dans l’absolu, je crois que le français est en déclin, plus particulièrement dans la métropole. Laissez-moi vous dire pourquoi.

Je travaille dans un bar du Mile End, de sorte que je côtoie une grande partie de la population de ce quartier, et même des arrondissements adjacents. Dès l’abord, je vous le dis sans détour, ce ne sont pas les citoyens anglophones du Mile End qui font le sujet de cet article. Il s’agit plutôt des francophones qui le fréquentent ou l’habitent, qu’ils soient Québécois, Suisses, Français, Belges, Antillais ou issus de l’Afrique francophone, ou de toute région du monde ayant pour langue officielle le français. Dans le Mile End, l’usage de la langue anglaise prédomine ; il semble en effet que les francophones soient plus accommodants pour apprendre et utiliser l’anglais.

Par conséquent, le français est délaissé par les francophones de ce quartier. Je vous donne quelques exemples : il m’est souvent arrivé de me faire aborder en anglais, bien que mon interlocuteur soit francophone ; lorsque des francophones communiquent avec des allophones, ils et elles emploient plutôt l’anglais (sans doute pensent-ils que l’anglais est plus facile à comprendre) ; il arrive même que des Montréalais dont la langue natale est le français préfèrent employer l’anglais pour converser entre eux, entre amis, en famille.

Je ne me prononce que sur le Mile End, même si je sais que bon nombre de quartiers montréalais sont caractérisés par cette même dynamique. Je ne vois pas tout cela d’un mauvais oeil. Plutôt, je me résigne à cet état des choses, à ce constat, car qu’y puis-je ?

La puissance de la langue française se perd à Montréal. L’anglais est beaucoup plus pratique, beaucoup plus connecté à la culture des réseaux sociaux, au cinéma et à la musique populaire, au monde du travail, de sorte qu’il est plus intéressant de recourir à cette langue pour échanger sur une culture majoritairement anglophone et, de surcroît, de plus en plus influente.

Le français soutenu est une curiosité désormais. Il présente un vocabulaire rare et antique qui semble ne plus avoir sa place aujourd’hui.

Peut-être ai-je des attentes trop élevées pour l’avenir de notre langue ?

Il est vrai que j’étudie au baccalauréat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Le français est important pour moi, et je suis heureux de pouvoir m’exprimer tous les jours dans cette langue. Mais force est de constater que le français a perdu de son attrait. De plus en plus de francophones décident d’utiliser l’anglais parce qu’il ouvre plus de portes, parce qu’il est plus facile de s’exclamer dans cette langue et de se référer à la culture anglophone qui abonde aujourd’hui.

Cet état des choses, faites-en ce que vous voulez. Nous sommes sur la branche du français, mais sachez que nous allons sur la branche de l’anglais ; nous avons déjà un pied dessus.

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