Collaborations scientifiques et liberté universitaire en temps de guerre

«Couper les liens avec les chercheurs israéliens, dont un grand nombre dénoncent les décisions prises par leur premier ministre, ne ferait qu’ajouter à leur malheur», écrit l’auteur.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Couper les liens avec les chercheurs israéliens, dont un grand nombre dénoncent les décisions prises par leur premier ministre, ne ferait qu’ajouter à leur malheur», écrit l’auteur.

Les porte-parole du campement installé sur les terrains de l’Université McGill ont récemment refusé la dernière offre de la direction de l’établissement, soutenant qu’elle ne contenait aucun engagement ferme en matière de désinvestissement et aucun plan concret visant à rompre les liens avec les universités israéliennes.

Si l’on peut trouver curieux et désolant que la direction de McGill soit réticente à retirer quelques millions de dollars de firmes qui servent directement ou indirectement la guerre, il faut par contre insister sur le fait que la demande de rompre tout lien avec les universités israéliennes est totalement incompatible avec le principe fondamental de la liberté universitaire des chercheurs.

Il est en effet utile de rappeler que ce ne sont pas les dirigeants des universités qui dictent les collaborations scientifiques internationales, mais bien les chercheurs eux-mêmes qui tissent des relations personnelles au sein de leur communauté scientifique.

Ainsi, au cours des 10 dernières années, l’ensemble des universités québécoises ont publié plus de 3000 articles scientifiques en collaboration avec des chercheurs israéliens. Sur les 3115 publications québécoises réalisées en collaboration avec Israël, parues entre 2013 et 2022 et recensées dans la base de données du Web of Science, 2157 sont signées par des chercheurs de McGill et 1623 par des chercheurs de l’Université de Montréal. Viennent ensuite les constituantes de l’Université du Québec, avec 173 publications (dont plus du tiers de l’Université du Québec à Montréal [UQAM]), l’Université de Sherbrooke, avec 93 articles, et Concordia, avec seulement 60 en dix ans.

Notons que plusieurs de ces articles sont le résultat de collaborations multiples, et que plus de 1000 sont signés à la fois par des chercheurs de McGill, de l’Université de Montréal et d’une université israélienne.

Ces quelques chiffres devraient suffire à faire comprendre que la dynamique de la recherche est d’abord impulsée par les chercheurs eux-mêmes, qui trouvent leurs collaborateurs selon leurs intérêts scientifiques propres, et n’est nullement dictée par les directions des universités. On comprend dès lors que la direction d’un établissement ne peut pas interdire à un chercheur de collaborer avec un chercheur d’un autre pays sans porter atteinte à sa liberté universitaire.

S’imaginer qu’un recteur peut dicter aux chercheurs leur conduite, c’est faire preuve d’une grande méconnaissance de la mission fondamentale des universités et de la grande autonomie des chercheurs. On comprend ainsi plus facilement pourquoi la résolution adoptée le 29 mai dernier par le conseil d’administration de l’UQAM sous la pression des militants qui avaient installé un campement sur ses terrains dit clairement que l’université « défend l’autonomie universitaire et le droit à la liberté académique ».

Et s’il est loisible aux directions de signer ou pas des « ententes académiques » formelles ou d’avoir des « liens institutionnels » avec d’autres universités à travers le monde, de tels documents ne lient que les directions, et il ne faut pas confondre cela avec les choix des chercheurs, qui restent libres de collaborer avec leurs collègues de différents pays.

Il est surtout important de ne pas imputer aux chercheurs individuels des décisions relevant d’un chef d’État ou d’un gouvernement. Qui aurait l’idée saugrenue de reprocher aux chercheurs québécois telle ou telle décision du gouvernement du Québec ?

En somme, si les militants qui occupent divers campus sont eux-mêmes des universitaires, ils devraient mieux comprendre la nature de l’institution à laquelle ils appartiennent et viser les véritables responsables de la tragédie qui se déroule dans les territoires occupés. Couper les liens avec les chercheurs israéliens, dont un grand nombre dénoncent les décisions prises par leur premier ministre, ne ferait qu’ajouter à leur malheur.

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