Cet été, n’oublions pas de vivre dans le monde analogique!
Avec les vacances viennent les sorties en plein air. Mais toujours proches de nos cellulaires, nous courons le risque de demeurer happés par notre vie numérique. Retrouvons le goût du réel, du physique et du sensible.
Alors que j’allais me faire prendre en photo pour ma demande de citoyenneté canadienne dans une boutique de la rue Saint-Denis à Montréal, j’ai été saisie à la vue du comptoir du photographe. Tout à côté de sa caisse se trouvait un tas d’objets qui semblaient d’un autre siècle : des appareils photo jetables de la marque Kodak. Cela est un trésor de mon enfance et peut-être de la vôtre aussi : avec un jetable, vous n’avez qu’un coup d’essai pour prendre une photo ; et une fois la pellicule finie, vous la rapportez au photographe qui fera l’impression de vos clichés.
Le résultat est généralement surprenant et inédit : beaucoup de photos seront incongrues, certaines seront ratées. Mais ce qui importe, au bout du compte, c’est comment vos impressions auront capturé l’intensité de vos souvenirs et la marque unique de votre regard. Bon retour dans le monde analogique !
En électronique, on différencie l’analogique du numérique en ce qu’il correspond à une autre manière de stocker de l’information. Pour faire simple, alors que le numérique code toutes les données à partir de 0 et de 1 (on parle de langage binaire), l’analogique traduit l’information sous la forme d’un signal continu (comme une suite infinie de nombres). Très concrètement, notre appareil photo analogique utilise un film doté de diverses composantes chimiques pour capturer une infinité de nuances et de lumières. À l’opposé, notre téléphone cellulaire utilise des capteurs électroniques pour convertir l’image en une multitude de données numériques.
Nul besoin de développer un film, ma photo numérique est disponible aussitôt que je l’ai prise. Pratique, non ? Eh bien oui, mais c’est aussi une manière de nous éloigner du monde réel.
Aujourd’hui, on a souvent l’impression de ne plus vivre une expérience ou une étape importante, si on ne lui confère pas une existence numérique. En soirée ou en vacances, on se sent de plus en plus obligés d’enregistrer les divers éléments de notre vie, et parfois de les partager avec des amis, la famille ou de parfaits inconnus, comme si cela leur conférait un plus grand degré de réalité. Bien sûr, on prend aussi tout plein de photos numériques pour garder en souvenir des moments marquants de notre vie. Mais a-t-on encore vraiment le temps de regarder les 500 photos de nos dernières vacances en famille ? En vérité, on se pare de notre téléphone cellulaire durant nos congés, car cet objet est une manière de nous rattacher à une vie numérique qui est maintenant devenue aussi pleine et signifiante que notre vie réelle.
Je ne suis pas là pour vous juger. Étant une millénariale, je suis également une victime de cet attachement excessif à mon identité numérique. Mais, contrairement à la génération Z, j’ai aussi connu un autre univers, peu informatisé et analogique, dans lequel le son, l’image et la vidéo étaient systématiquement rattachés au monde physique et à la matérialité.
Pour les plus vieux d’entre nous, rappelons-nous ce temps dépassé au moment de profiter de ces vacances bien méritées. Et pour les plus jeunes, laissez de côté votre cellulaire le temps d’une journée. Munissez-vous d’un appareil photo jetable et lancez-vous dans l’instantané. C’est le moment de redécouvrir l’impromptu, l’erreur, l’improvisation et l’impossibilité de toute édition de ou publication simultanée. Ces vacances d’été seront peut-être le moment pour redécouvrir, enfin, le goût de savourer le monde sensible dans ce qu’il a de plus éphémère, de fragile et d’unique pour nous.
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