Mon ami Jean Morisset, coureur de grands espaces
J’ai connu Jean Morisset grâce aux mondes de la poésie et du bois réunis. Je ne sais pas si nous avons parlé « théorie littéraire » à un seul moment lors des dizaines et des dizaines de fois où nous nous sommes croisés, quasiment toujours dans un champ, dans un boisé, sur l’eau, au sommet d’une montagne, dans une cabane. Décédé la semaine dernière, à 84 ans, Jean était bel et bien un universitaire, mais tout à fait comme l’un de nos maîtres à penser communs, Louis-Edmond Hamelin, c’est-à-dire un géographe capable de parfaitement amalgamer travail intellectuel et vie de coureur des grands espaces.
J’ai toujours pensé que Louis-Edmond était de la stature du frère Marie-Victorin, ce à quoi mon ami Jean Morisset aurait acquiescé. Car nous n’étions pas faits pour nous chicaner, Jean et moi. Le destin nous a inventés pour que nous soyons quasiment tout le temps en état de « poétisation » et d’invention du meilleur de notre passé comme de notre avenir collectif, dans des phares situés sur des îles non loin de sa maison de Saint-Michel-de-Bellechasse, comme dans des salles où se réunissaient des poètes étudiants professeurs campeurs bohémiens nomades coureurs de sentiers.
Vivre en joie en compagnie de Jean Morisset pour découvrir une piste cachée dans une montagne non loin de Montréal, c’était comme vivre collé à un aîné autochtone. Métis, je me suis senti toute ma vie. Jean Morisset aussi, je le pense. C’est d’ailleurs lui qui m’a fait le mieux connaître l’importance de la métisserie, un mot utilisé par Louis-Edmond Hamelin.
C’est en grande partie grâce à Jean et à Serge Bouchard que j’ai pu prendre contact avec notre histoire canadienne-française métisse amoureuse du territoire parcourant toute l’Amérique du Nord et pendant des centaines d’années, d’est en ouest, jusqu’au Pacifique. Sacagawea, l’amie shoshone de Marie Iowa Dorion, lui parlait français lorsqu’elles se rencontraient quelque part dans les Rocheuses. Jean Morisset était fier de ce fait, comme il était plus que fier de chacune des racines humaines de son pays, un pays qui part du Labrador, qui monte jusqu’au Nunavut et aux Territoires du Nord-Ouest, pour ensuite redescendre vers Seattle avant de filer vers la Louisiane et remonter le fleuve Mississippi jusqu’à Kébec.
Jean Morisset était là quand mes amis Rita Mestokosho, de Mingan, et l’écrivain Louis Hamelin ont tenté de reproduire ce que Laure Morali avait si bellement réussi avec son essai Aimititau ! Parlons-nous ! en réunissant des écriveux autochtones et non autochtones, tous des gens profondément amoureux de l’Amériquoisie, j’ose l’affirmer.
Un beau jour, nous avons été une vingtaine à camper sur une île de la rivière Romaine, en Moyenne-Côte-Nord, Innus et joyeux lurons réunis pendant des jours pour jaser, rire, écrire, se lire des textes, chanter et pêcher, en français et en innu. S’il n’est pas né un livre de cette rencontre, il s’est créé une joie sacrée qui perdure encore dès que l’on s’arrête dans le meteshan créé par Rita à Ekuanitshit.
J’entendrai toute ma vie et même après ma mort le rire de Jean Morisset en train de se baigner en bobettes dans le courant de la Romaine, lors de notre remontée d’un bout de la rivière dans un canot prêté par un Innu. Jean Morisset, exceptionnel coureur de froid, représentant par excellence de la vie métisse en cette Amériquoisie à laquelle j’aime croire.
Jean ne mourra pas.
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