La musique dans la peau
Ils passent inaperçus, ou presque. Ils sont pourtant des acteurs essentiels du milieu culturel. Le Devoir propose une série de portraits de métiers de l’ombre, à travers les confidences de professionnels qui les pratiquent ou qui les ont déjà pratiqués. Aujourd’hui : les programmateurs de festivals de musique.
« Je pense que mon métier a un aspect très sociologique », dit Camille Guitton, programmatrice pour Osheaga et les Francos de Montréal. « Dès que j’entre dans un endroit, dans un magasin ou chez quelqu’un, je veux connaître ce que les gens écoutent », explique celle pour qui la veille musicale est devenue un réflexe. « J’ai toujours l’impression d’analyser le monde sous un angle musical. Savoir quel genre de personne va aimer quel genre de musique permet d’observer certaines tendances sociétales », ajoute-t-elle.
Si Camille Guitton avoue avoir un faible pour le hip-hop, l’afrobeat et la pop, cela ne l’empêche pas de programmer différents genres : les festivals pour lesquels elle travaille sont généralistes. « On essaie de parler à plein de gens de communautés différentes, et c’est pour ça que je suis tout le temps alerte. Ça peut paraître prenant, mais c’est quelque chose que j’adore », raconte-t-elle. Avec autant d’attention portée aux goûts des autres, la programmation estime en effet être à même de refléter ce qui va pouvoir plaire à un maximum de futurs festivaliers dans une programmation.
« Ce qui est génial, c’est quand on booke des coups de cœur, pas de façon égoïste, bien sûr, mais parce qu’il existe un potentiel pour le public québécois », note la programmatrice. Elle se souvient en particulier du succès de B.B. Jacques, cette année, aux Francos, et de Rosalia, à Osheaga, en 2019, qui « depuis s’est construit une histoire incroyable ».
Pour ce faire, il n’est pas question pour Camille Guitton de faire une pause. « La programmation est un mandat de longue haleine, car on peut mettre sur notre radar un artiste qui vient de démarrer et qui, en fait, sera avec nous deux ans plus tard », précise-t-elle. Même son de cloche au Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue (FME), dont la recherche d’artistes ne s’arrête jamais. « Parfois, on commence les discussions avec les groupes des années en avance. Il arrive qu’on fasse une offre, que ça ne marche pas tout de suite… Mais si tout le monde a le goût de le faire, on réessaie l’année suivante, jusqu’à ce que ce soit bon », souligne Marilyne Lacombe, du collectif Mothland, programmatrice du FME.
De longue haleine
Marilyne Lacombe mentionne à ce propos tout faire depuis 2017 pour que Tess Parks atterrisse en Abitibi. « 2023, c’est l’année où les astres se sont enfin alignés », se réjouit-elle, puisque la Torontoise est attendue le 2 septembre en première partie de Karkwa, à Rouyn-Noranda, qui « n’est pas sur le circuit de tournée habituel ». Afin d’offrir au public de telles découvertes, la programmatrice est en mode recherche toute l’année. « Avec l’équipe, on passe beaucoup de temps dans les concerts et les festivals. La programmation est toujours dans nos pensées », affirme-t-elle.
Alors qu’elle a commencé à programmer pour le FME en 2016 avec l’intention d’y implanter l’atmosphère du festival Distorsion, propulsé par Mothland, Marilyne Lacombe s’est petit à petit taillé une place de choix dans l’équipe du festival témiscabitibien. « J’ai proposé plus de projets et, au bout du compte, il s’est formé un petit comité de programmation à l’intérieur même de Mothland. » Depuis 2020, la joyeuse bande partage donc ensemble cette responsabilité. Au sein de POP Montréal, le processus de programmation se fait également de manière collective, et chacun peut suggérer des artistes. « C’est important pour moi d’être inclusif et de prendre en compte les idées des autres pour que le festival ne soit pas seulement le reflet de ce que j’aime », s’enthousiasme Dan Seligman, qui en est le directeur artistique.
Entre novembre et juillet, pendant la période de sélection des artistes qui performeront à POP Montréal, le festival organise, en interne, une fois par semaine, des sessions d’écoute des soumissions qu’il reçoit. « C’est un processus démocratique où chacun vote. Ensuite, les résultats sont passés en revue par l’équipe restreinte de programmation », révèle Dan Seligman. Sur quelque deux cents projets musicaux qui font partie de la programmation, la moitié provient de l’appel de candidatures. C’est dire l’ampleur de la tâche.
Une fois la programmation établie, c’est un casse-tête qui commence pour POP Montréal. Entre les artistes, les styles de musique, les horaires et les salles de spectacle à gérer, il faut tout faire pour éviter le FOMO (Fear of missing out). « Chaque année, le défi, pour moi, est d’améliorer le festival en apportant le juste équilibre, signale Dan Seligman. C’est pour ça que les programmateurs continuent de faire ce qu’ils font. Trouver la recette parfaite, c’est ce qui nous motive. »