«Jazz Happening»: Mettre de l’avant l’africanité du jazz
Dès aujourd’hui et jusqu’au 24 mars aura lieu pour la toute première fois Jazz Happening. Lancé par la doctorante en études et pratiques des arts à l’Université du Québec à Montréal Alice Bourgasser, cet événement inclut à la fois des classes de maître, des soirées de danse sociale et un grand happening, avec des artistes de renom dans l’univers du jazz.
« Je me suis rapidement passionnée pour le jazz, pour son contexte historique, ses formes musicales et ses danses, mais au début de mon apprentissage, j’ai évacué ses dimensions sociale et politique. C’est vraiment en 2020, avec la revivance du mouvement Black Lives Matter et des discussions sur l’appropriation culturelle développées au sein de notre communauté, que j’ai changé ma posture », se souvient Alice Bourgasser, artiste formée en danse contemporaine en France et arrivée au Québec en 2016.
En effet, dès son arrivée à Montréal, le jazz prend rapidement une grande place dans sa vie, tant professionnelle que personnelle : elle construit ses plus grandes amitiés dans la communauté jazz, devient professeure et coach de la danse lindy hop et de solo jazz. En 2023, elle est nommée championne canadienne de lindy hop ; elle obtient également la 3e place dans cette danse au Championnat du monde, niveau All Stars, et la 2e en solo jazz. « Le jazz, c’est le grand genre, la famille qui contient plusieurs styles, comme le lindy hop, qui est une danse en couple, ou le solo jazz, qui se danse seul, dit-elle. On pratique ces styles la plupart du temps sur des musiques de style swing, et c’est pour ça qu’on parle souvent de danses swing, mais il y a aussi le be-bop qui se fait sur de la musique du même nom, ou encore le blues. »
« Aujourd’hui, la majorité blanche domine dans beaucoup de styles de danse jazz et entretient une tradition d’appropriation culturelle du patrimoine africain-américain. Ça devient donc important de se reconnecter aux valeurs culturelles issues de l’Afrique, mouvement lancé par des artistes afro-descendants. En tant que femme blanche, j’essaie de développer une posture alliée, de soutenir les initiatives des personnes minorisées noires de notre communauté, de relier le patrimoine afro-descendant à la pratique des danses swing actuelles », dit-elle pour expliquer à la fois sa recherche doctorale et les origines derrière le projet Jazz Happening. C’est d’ailleurs pour souligner les origines du jazz que le mot « vernaculaire » a été mis sur l’affiche. Un détail très important pour Alice Bourgasser. « Ça signifie “qui appartient à”, et ici on veut parler de la culture africaine-américaine. En soulignant ce terme, on reconnecte avec le grand tout du jazz. Ça permet aussi de sensibiliser les gens à la filiation de ses cultures », poursuit-elle.
Plonger dans le jazz vernaculaire
Jazz Happening est un événement de musique et de danse, mais aussi le terrain de recherche doctorale d’Alice Bourgasser. Elle a ainsi fait appel à six artistes pour l’occasion : Rémy Saminadin, batteur guadeloupéen qui travaille avec la communauté du streetdance de Montréal, Miche Love, chanteuse haïtienne spécialisée dans le blues, Rémy Kouakou Kouamé, DJ et coorganisateur des championnats mondiaux de lindy hop, Dee Daniels Locke, artiste africaine-américaine qui porte l’héritage ancestral des pionniers du jazz vernaculaire, Marie N’diaye, artiste et chercheuse guadeloupéenne, et Eyal Vilner saxophoniste et chef d’orchestre. « Ce sont tous et toutes des experts de leur forme artistique, qui fait partie de l’afro-descendance. Mon but était de créer un maillage de discours, de pratiques et de réflexions pour illuminer le jazz sous ses multiples facettes », explique-t-elle.
Pour l’occasion, deux classes de maître seront offertes : une avec la danseuse Marie N’diaye et le musicien Rémy Saminadin et une autre avec le danseur Rémy Kouakou Kouamé et le musicien Eyal Vilner. « Les danses jazz n’ont pas de sens sans leur ancrage à la musique », dit Mme Bourgasser. Elles sont ouvertes à tout le monde, aux danseurs expérimentés, novices ou aux simples curieux. « Les classes ont été placées juste avant des soirées hebdomadaires de la communauté, donc il est possible de rester après la classe pour danser. On voulait vraiment réunir les gens, que ce soit un moment de partage, en immersion totale avec la communauté », ajoute-t-elle.
Le plus gros événement de la fin de semaine reste cependant la soirée happening du dimanche 24 mars. Les six artistes invités se réunissent pour la première fois sur scène et proposent « une performance unique ». « La genèse du jazz est sociale et la pratique sociale est ancrée dans l’improvisation. Pour cette soirée, les artistes ont eu du temps en résidence de recherche afin de déployer de la matière, de la travailler et de mettre ça sur scène, mais l’idée reste de mettre de l’avant le caractère improvisé de leur pratique », explique la doctorante. Par la suite, le groupe Early Jazz Band puis Rémy Kouakou Kouamé feront danser la salle le reste de la soirée.
C’est pour la communauté jazz de Montréal qu’Alice Bourgasser a voulu développer ce projet. Elle espère que les communautés de streetdance se joindront aussi à la partie, mais pas qu’elles. « Les curieux et curieuses qui aiment le jazz, les gens qui aiment danser, ceux qui souhaitent mettre de l’avant la diversité dans leur vie, dans leur pratique ou encore ceux qui ont un intérêt pour le jazz, ses origines et ses couleurs, conclut-elle. C’est un événement de danse, mais qui est aussi social puisqu’il met de l’avant des artistes racisés et leurs cultures. Tout le monde est bienvenu. »