L’insécurité, première motivation du vote RN

Des policiers patrouillaient près d’un point de vente de drogue dans le centre-ville de Marseille, le 21 mars dernier, deux jours après la visite du président français,
Photo: Nicolas Tucat Agence France-Presse Des policiers patrouillaient près d’un point de vente de drogue dans le centre-ville de Marseille, le 21 mars dernier, deux jours après la visite du président français,

La France n’est pas qu’une carte postale partout. Dans les quartiers excentrés de Marseille, la beauté du paysage provençal se trouve complètement masquée par ces immenses immeubles de logements construits à la va-vite durant les Trente Glorieuses pour accueillir les ouvriers venus des campagnes et des pays de l’Europe du Sud. Au fil des années s’y sont aussi installés des immigrants venus du Maghreb, principalement d’Algérie. Plusieurs habitants de longue date, traversés d’un grand sentiment d’insécurité, disent ne plus s’y sentir chez eux. Ils sont nombreux maintenant à s’en remettre au Rassemblement national (RN).

« Ça a beaucoup changé ici. Sortir la nuit, c’est devenu compliqué. On ne se sent plus en sécurité », confie Marguerite Lindi avant de sauter dans l’autobus qui la conduira au centre-ville.

Cette fille d’immigrants italiens n’aurait jamais pensé qu’elle adhérerait un jour à l’extrême droite. Mais, pour la première fois de sa vie dimanche dernier, elle a glissé un bulletin dans l’urne pour le Rassemblement national dans l’espoir d’envoyer un message clair aux élites parisiennes.

Les Caillols, le quartier où elle habite dans le 12e arrondissement, ne sont pourtant pas un endroit particulièrement dangereux en plein jour. On peut très bien y marcher sans craindre quoi que ce soit. Ici, à première vue, pas de piqueries ou d’attroupements d’itinérants en détresse, comme dans certains secteurs de Montréal.

Les problèmes sont ailleurs, cependant. En atteste la carcasse d’une voiture complètement calcinée qui traîne devant une cité HLM. « Bienvenue à Marseille », ironise avec son accent chantant Jean-Paul Ricard en apercevant au loin ce tas de débris en pleine rue pendant qu’il promène son chien.

Selon l’expérience de ce policier à la retraite, il pourrait s’agir d’une voiture qui a été volée pour servir à faire un cambriolage et qui a été ensuite incendiée pour ne laisser aucune trace. Après tout, la région de Marseille est l’endroit dans l’Hexagone où le taux de cambriolage est le plus élevé. Il en est de même pour les vols de véhicules. La cité phocéenne a également toujours été une plaque tournante pour le trafic de drogue en raison de son statut de ville portuaire.

Selon Jean-Paul Ricard, il y a un sérieux coup de barre à donner. C’est pourquoi cet ancien électeur de la droite modérée soutient lui aussi le Rassemblement national à ces élections législatives, à l’instar de beaucoup de policiers et de militaires, comme l’ont montré différentes enquêtes d’opinion à travers les années.

Faire barrage à l’extrême gauche

Sa grande crainte pour le second tour de dimanche est que le RN n’obtienne pas de majorité absolue et que le président Macron réussisse à gouverner le pays avec les partis de gauche. Un scénario probable, alors que tant la coalition présidentielle que le Nouveau Front populaire ont appelé à faire barrage au RN. Face à un candidat du Rassemblement national en position de se faire élire, les macronistes qui avaient réussi à se qualifier pour le second tour en arrivant troisièmes ont été appelés à se retirer au profit de l’alliance des partis de gauche. Le Nouveau Front populaire a donné la même consigne à ses candidats arrivés en troisième position.

« On risque de se retrouver avec une coalition arc-en-ciel. Le pays va être complètement ingouvernable. Macron a tort d’essayer de continuer d’éviter de gouverner avec le RN. La vraie menace pour la démocratie, c’est la gauche, avec Mélenchon », soutient Jean-Paul Ricard.

Jean-Luc Mélenchon, le leader de la gauche radicale, a multiplié ces derniers temps les déclarations polémiques sur les violences policières ou encore sur la guerre Israël-Hamas. Aux yeux de plusieurs, il est devenu plus dangereux que l’extrême droite, qui a gommé les éléments les plus radicaux de son programme, comme l’interdiction de la double nationalité.

Christophe, un chômeur croisé dans un café, fait lui aussi de l’urticaire à la simple évocation du nom de Mélenchon. Dimanche dernier, cet abstentionniste a voté pour l’extrême droite. Il n’a pas voulu donner son nom de famille, l’adhésion au RN restant un sujet délicat pour plusieurs en France.

« Si je l’ai fait, ce n’est pas pour des raisons économiques ou pour le pouvoir d’achat, rien de tout ça. C’est vrai que le pays se porte plutôt bien économiquement. Mais sur le plan de la sécurité et de l’immigration, c’est une autre histoire. Ce sont les deux seules raisons qui m’ont motivé à voter pour le RN », explique Christophe, lui aussi d’origine italienne. Il précise par contre qu’il se sent « 100 % français ». Pour lui, le lien direct entre délinquance et immigration ne fait aucun doute.

« Le pays a beaucoup changé »

Les personnes étrangères, soit celles qui n’ont pas la nationalité française, représentaient 18 % des personnes mises en cause par les services de l’ordre en 2019, alors que leur poids dans la population était alors estimé à 7 %. Toujours selon des chiffres officiels du gouvernement, le nombre de citoyens français mis en cause pour des délits ou des crimes a augmenté de 1 % entre 2016 et 2019. La hausse s’élève à 15 % chez les étrangers.

« J’en suis venu à la conclusion que ce ne sont pas toutes les cultures qui peuvent s’intégrer à la nôtre. Je n’avais pas ces idées-là avant. La dernière fois que j’avais voté, avant dimanche, c’était contre Sarkozy, en 2012, car je trouvais que son discours suscitait de la haine. Je ne vois plus du tout les choses de la même manière aujourd’hui, car le pays a beaucoup changé », fait valoir Christophe, en s’agaçant au passage de la présence ostentatoire de l’islam dans l’espace public.

Providence Garcia s’indigne qu’autant de personnes issues des premières vagues d’immigration en provenance des pays du sud de l’Europe soient aujourd’hui à ce point hostiles à la présence des Arabes en France. « C’est quoi ? On vous a ouvert la porte et, maintenant que vous êtes entrés, vous voulez la fermer ? » dit celle dont les parents ont fui l’Espagne franquiste.

Cette électrice de gauche n’habite pas dans le 12e arrondissement, mais elle y enseigne l’espagnol dans un collège public. Une école plutôt défavorisée, où certains élèves doivent avoir recours à des programmes d’aide pour manger le midi ou pour payer leurs fournitures scolaires. Que plusieurs de leurs parents, en situation précaire, forcément, aient aujourd’hui délaissé la gauche pour l’extrême droite la laisse perplexe.

« La lutte des classes a été effacée des consciences. Les riches ont réussi à faire croire aux pauvres que leurs intérêts étaient les mêmes. Aujourd’hui, il y a des gens qui s’inquiètent que les impôts augmentent si le Nouveau Front populaire arrive au pouvoir, alors qu’ils n’en paient même pas. L’une des raisons de cette grande persuasion s’appelle Vincent Bolloré », affirme Providence Garcia avec une détestation évidente.

La jeunesse n’emmerde plus le RN

Vincent Bolloré est ce riche homme d’affaires breton dont les idées conservatrices déteignent sur les médias qu’il détient. Parmi son arsenal : la chaîne d’information CNews, souvent comparée à Fox News. Mais aussi C8, la chaîne de divertissement sur laquelle sévit le clownesque Cyril Hanouna, l’enfant terrible de la télévision française.

Son émission Touche pas à mon poste, qui prend souvent des airs de cirque avec ses invités complètement survoltés, est l’une des plus écoutées par les adolescents et les jeunes adultes en France. Elle est souvent accusée de donner un temps de parole disproportionné aux personnalités de la droite dure.

« On en voit l’effet sur les jeunes. J’ai des élèves qui ont 14-15 ans et qui distribuent des tracts pour le RN. On n’aurait jamais vu ça avant. Les jeunes sont aujourd’hui plus à droite qu’à gauche », s’attriste Providence Garcia.

Elle fait partie de la génération qui scandait dans les rues « La jeunesse emmerde le Front national » après la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle en 2002. Les temps ont bien changé depuis, c’est le cas de le dire.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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