INRS: histoire d’une singularité

Jean-Benoît Nadeau
Collaboration spéciale
Le centre INRS-Télécommunications en 1976
Photo: INRS Le centre INRS-Télécommunications en 1976

Ce texte fait partie du cahier spécial 55 ans de l'INRS

« L’INRS, c’était la Révolution tranquille en recherche », se rappelle Charles E. Beaulieu, premier directeur général de l’INRS de 1969 à 1976, à qui l’on doit la création de cet institut. « C’était inédit à l’époque, mais même aujourd’hui, il y en a très peu dans le monde qui lui ressemblent », dit le directeur général actuel, Luc-Alain Giraldeau. « On s’est doté d’un instrument formidable et unique. C’est une réussite spectaculaire que peu de gens connaissent. »

En 1969, le développement de la recherche au Québec avait pris du retard. Un rapport de l’OCDE, intitulé Examen des politiques scientifiques nationales, avait conclu qu’elle était excessivement cloisonnée. « Les universités, les gouvernements et l’industrie entretenaient peu de contacts », résume Charles E. Beaulieu, qui présidait alors à la création du Centre d’études universitaires de Rimouski (qui est devenu plus tard l’Université du Québec à Rimouski). « Les établissements étaient organisés en disciplines. Et les professeurs y faisaient de la recherche pour faire avancer leur discipline, mais aucun n’avait la vocation d’aligner sa recherche sur les besoins spécifiques du Québec. »

Photo: Denis Chalifour Charles E. Beaulieu, premier directeur général de l’INRS de 1969 à 1976

L’INRS innove dès le premier jour. Charles E. Beaulieu structure toute la recherche et la formation autour de créneaux choisis, organisés en centres de recherche pluridisciplinaires. Et l’INRS ne formera que des étudiants en maîtrise et au doctorat. Luc-Alain Giraldeau insiste sur l’originalité fondamentale de cette idée de départ. « De nos jours, toutes les universités disent qu’elles ont pour mission de favoriser le transfert de connaissances vers le milieu. Mais c’est venu après coup. Si vous regardez leurs lettres patentes, ça n’apparaît nulle part. En 1970, il n’y avait aucun établissement à qui le gouvernement pouvait dire : “Faites quelque chose pour aider Hydro-Québec.” Nous, c’était notre mission de répondre aux besoins du Québec. »

Photo: INRS Peter Campbell, ex-directeur du centre INRS-Eau, et Nicole Drouin, technicienne, vers 1970

Premiers succès

En quelques années, l’INRS met en place huit centres de recherche et lance la formation — le premier doctorat sera remis dès 1973. Les trois premiers centres appelés Centre québécois des sciences de l’eau, Centre en énergie de l’INRS, Centre de recherches urbaines et régionales sont renommés INRS-Eau, INRS-Énergie, INRS-Urbanisation. Ils sont vite suivis de l’INRS-Santé, l’INRS-Télécommunications, l’INRS-Pétrole, l’INRS-Éducation et l’INRS-Océanologie.

L’INRS se rapproche très vite des utilisateurs industriels. En 1969, l’INRS-Énergie s’installe à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ). En 1976, son Centre de recherche en ingénierie des communications s’implante chez Recherches Bell-Northern, d’abord à Ottawa, puis à Montréal. « Une université au sein même d’une entreprise de recherche industrielle, c’était du jamais vu au Canada. C’est comme ça que le Québec s’est développé une réputation internationale en reconnaissance vocale. »

En 1973, Charles E. Beaulieu profite d’une demande d’accréditation syndicale pour imposer une autre première : l’exclusivité d’emploi. Ses chercheurs ne pourront faire de consultation externe. L’INRS négociera les ententes et recevra les honoraires, qu’elle partagera selon les règles prévues à la convention collective.

La recherche n’a jamais souffert de cette mainmise, bien au contraire. Dans les classements en matière de recherche universitaire, tel celui de Research Infosource, l’INRS s’est vite démarqué et se maintient toujours. « Nous étions premiers l’an dernier au Canada, avant Toronto, avant McGill, dit Luc-Alain Giraldeau. Nos professeurs vont chercher 450 000 dollars par an de budget de recherche. Moi, quand j’étais prof, je me trouvais très bon quand j’allais chercher 55 000 dollars. »

Photo: INRS Le laboratoire humide du centre INRS-Océanologie en 1980

Et si c’était à refaire...

Avec le recul, Charles E. Beaulieu n’exprime qu’un seul regret : « Les universités ne nous ont jamais acceptés, et ça a été une bataille pénible. »

Cela remonte à l’annonce de la création de l’INRS en décembre 1969. Selon les propos rapportés par Gilles Lesage, du Devoir, le ministre de l’Éducation du Québec d’alors, Jean-Guy Cardinal, affirmait : « L’INRS jouera un rôle de coordination et demandera la participation des trois universités constituantes [de l’Université du Québec], des autres universités québécoises ainsi que des autres organismes gouvernementaux parapublics et privés. »

« C’était une maladresse que les universités ont interprétée comme une volonté d’imposer une coordination de toute la recherche au Québec », explique Charles E. Beaulieu, qui aura dû déployer de gros efforts pour clarifier le rôle de l’INRS et le défendre auprès du Conseil des universités et du ministère de l’Éducation afin de maintenir ses statuts et ses subventions.

Au début des années 1970, la première grande étude commandée par le gouvernement avait même failli lui coûter ses budgets, rappelle Luc-Alain Giraldeau. L’INRS-Urbanisation avait alors conclu que non seulement le développement de l’aéroport de Sainte-Scholastique (futur aéroport de Mirabel) serait nuisible au Québec, mais aussi qu’il profiterait surtout à l’Ontario.

« Québec et Ottawa l’avaient très mal pris. Disons qu’on a risqué la fermeture », dit-il.

En poste depuis 2017, Luc-Alain Giraldeau est d’avis que l’objectif des fondateurs d’autofinancer l’INRS à presque 50 % s’est avéré un fardeau à la longue. « Le financement universitaire en est venu à se baser sur le nombre d’étudiants de premier cycle. Ça nous oblige à quêter chaque année. Ce qui nous manque, c’est une formule de financement adéquate et prévisible. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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