Les influenceurs peuvent-ils influencer les élections législatives en France?
Plusieurs instavidéastes, diffuseurs et autres créateurs de contenus s’engagent dans les élections des législatives qui se terminent dimanche en France. Entre le « Stream populaire » à gauche et les influenceurs d’extrême droite, ces vedettes du Net peuvent-elles vraiment avoir une incidence sur l’issue du scrutin ?
Squeezie a été un des premiers influenceurs à s’opposer au Rassemblement national (RN). Dans une lettre ouverte publiée sur son compte Instagram le 14 juin dernier, le youtubeur aux 18,9 millions d’abonnés appelait au vote, disant qu’un « parti qui prône la haine, la discrimination et la peur de l’autre n’a jamais été une solution et ne le sera jamais ».
Depuis, plusieurs célébrités d’Internet lui ont emboîté le pas. Plus de 300 influenceurs ont signé une tribune dans le Club de Mediapart le 17 juin. Ces derniers veulent faire barrage à Jordan Bardella, président du RN, et soutenir le Nouveau Front populaire (NFP), l’alliance de gauche. Ensemble, ces créateurs de contenus forment le « Stream populaire ». Des vidéos d’entre-deux-tours en direct sur Twitch et une pétition (ayant récolté près de 3000 signatures) continuent d’être accessibles en ligne.
D’après l’historien et sociologue des médias Jamil Jean-Marc Dakhlia, l’engagement politique de personnalités médiatiques n’est pas inédit. « Les partis de gauche ont toujours suscité des formes de soutien de la part d’artistes, notamment le Parti communiste français, dit-il. En France, ce soutien issu du monde de la culture remonte à l’entre-deux-guerres. Aux États-Unis, c’est aussi une machine bien huilée [en faveur des démocrates]. »
Le professeur de l’Université Sorbonne Nouvelle rappelle que les réseaux sociaux sont des canaux d’expression de soi et d’expression d’opinions. « On s’imagine qu’un certain nombre d’internautes veulent connaître les opinions de ces personnes très suivies et appréciées pour leur personnalité. Quand on a atteint un certain niveau de notoriété, on se sent investi d’un devoir d’exemplarité », dit-il pour expliquer pourquoi ces célébrités, d’ordinaire non politisées, se positionnent soudainement.
Le soutien désarticulé du RN
La « galaxie de l’extrême droite » déploie aussi ses influenceurs : Georges Matharan (164 000 abonnés sur YouTube), Le Bracq (73 000 abonnés sur TikTok) ou encore Psychodelik (236 000 abonnés sur YouTube) se réjouissent des résultats du premier tour.
« En temps normal, [les influenceurs d’extrême droite] ont tendance à rejeter la politique institutionnelle », explique Tristan Boursier, chercheur invité au Centre de recherches politiques de Sciences Po en France (CEVIPOF). « C’est seulement depuis 2022 qu’ils sont un peu plus engagés, avec l’apparition d’Éric Zemmour [président du parti Reconquête], qui était pour eux le premier candidat représentant leurs intérêts et leur vision du monde. Jusque-là, le RN, anciennement le Front national, était un parti beaucoup trop à gauche pour eux. »
Contrairement au « Stream populaire », les efforts d’influences venant des conservateurs identitaires en ligne (en majeure partie des hommes blancs dans la mi-vingtaine) ne résultent pas d’un appel au vote coordonné. Toujours selon M. Boursier, si certains affichent ouvertement leur allégeance au RN, d’autres vont plutôt cadrer leur vision du monde et de l’actualité dans une perspective favorable au parti.
« [Un appel au vote] serait perçu comme un comportement trop moutonnier, mais pour autant toute leur communication contribue à aller dans le sens du RN, dit-il. C’est là qu’il y a de la subtilité. Étant donné que ce ne sont pas des politiciens professionnels, ils n’ont pas du tout la posture pour faire un appel au vote », ajoute le chercheur en prenant exemple sur Le Lapin du Futur (105 000 abonnés sur YouTube) qui, à la manière du présentateur français Cyril Hanouna, va « taper sur la gauche, sur Macron et être favorable à Bardella ».
« Une influence marginale »
Est-ce seulement efficace ? « C’est difficile de le prouver, répond M. Dakhlia. Mais c’est un événement important dans le débat démocratique […]. C’est un élément de plus qui aide les citoyens à se faire leur propre opinion. Soit à la conforter, soit à la nuancer ou éventuellement à la changer. Nous ne sommes pas dans le secret des consciences, donc on ne sait pas exactement quel en est l’impact. »
Pour Thierry Giasson, professeur de science politique à l’Université Laval, l’influence de ces créateurs de contenus reste marginale. D’après lui, les comportements politiques des citoyens se développent assez tôt et sont liés aux premiers cercles de socialisation, comme la famille ou l’école.
Viennent ensuite chez les jeunes des habitudes d’information, acquises plus ou moins tôt. Parmi celles-ci se trouve celle de suivre des créateurs de contenus. « Ça entre donc dans leur processus de réflexion, mais ce n’est pas le seul élément, explique-t-il. Les gens ne sont pas des pages blanches. On arrive aux messages avec des a priori et des opinions et souvent, on s’informe auprès de médias qui ont des opinions similaires aux nôtres. »