Les frais vétérinaires augmentent plus que l’inflation
Bon nombre de propriétaires d’animaux se plaignent de factures de plus en plus élevées lorsque vient le temps de faire soigner leur animal de compagnie. Des données compilées par Le Devoir démontrent qu’ils n’ont pas tort : la hausse des frais vétérinaires dépasse, dans bien des cas, le taux d’inflation.
Dans un même centre vétérinaire de Laval, le prix d’une entérotomie réalisée sur deux chats de poids similaire à 11 mois d’intervalle a connu une hausse de 17,5 %. Une facture, de décembre 2022, démontre que des frais de 1394 $ ont été perçus pour cette opération de l’intestin, alors qu’une autre facture, de novembre 2023, affiche un montant de 1639 $ pour le même acte. L’inflation au Québec de décembre 2022 à octobre 2023 (dernière donnée disponible) était de 4,3 %.
Ces deux factures, obtenues par Le Devoir auprès de deux clients différents, démontrent qu’une augmentation de 17,5 % a aussi été appliquée à d’autres frais liés à l’opération, dont l’évaluation préopératoire (de 285 $ à 335 $) et l’anesthésie générale (de 557 $ à 655 $). D’autres frais sont restés les mêmes.
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Des refuges étranglés par les hausses de coûtsDes hausses dépassant l’inflation ont été notées sur d’autres factures que Le Devoir a amassées dans plusieurs régions.
Dans une clinique de Montréal, le coût pour une ovario-hystérectomie (stérilisation) est passé de 220 $ en décembre 2021 à 252 $ en novembre 2023, une hausse de 14,5 %. Dans une clinique de Laval, le prix des vaccins de base pour félins et contre la rage a augmenté de 25 $ en décembre 2021 à 31 $ en février 2023, une augmentation de 24 %.
Dans une clinique de l’Estrie, le prix pour un laboratoire interne hémato-bioch-T4 (analyse sanguine), qui était de 170,94 $ en février 2021 a bondi à 239 $ en juin 2023, une variation de 40 %. Dans une clinique de la Montérégie, le coût pour une consultation de base a grimpé de 50 $ en 2015, à 59 $ en 2019, pour ensuite atteindre 77 $ en 2022 et 88 $ en 2023. Une hausse qui représente 49 % entre 2019 et 2023. L’inflation globale des prix à la consommation a plutôt été autour de 16 % en quatre ans au Québec.
Pas encadrés
Les frais vétérinaires ne sont encadrés ni par le gouvernement ni par un organisme réglementaire. « Chaque établissement vétérinaire peut facturer des frais à la hauteur des services offerts », explique Gaston Rioux, président de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec. Mais le code de déontologie des vétérinaires exige que leurs honoraires soient « justes et raisonnables » et qu’ils soient « proportionnels aux services rendus ».
Celui-ci dit avoir remarqué qu’une hausse des frais est survenue ces derniers temps — sans pouvoir la chiffrer — et convient que celle-ci peut affecter l’accessibilité aux soins. « Mais on n’a ni les ressources financières, ni les ressources humaines, ni le mandat pour faire ce type d’enquête là [sur l’ampleur des hausses] », ajoute-t-il.
Pendant ce temps, l’inquiétude du public grandit. Une hausse significative d’appels ou de courriels provenant du public au sujet des « tarifs vétérinaires élevés » a été notée en 2023 par le Bureau du syndic de l’Ordre. De 2013 à 2021, une moyenne annuelle de 57 appels ou courriels sur ce sujet ont été reçus. Ce nombre a grimpé à 156 en 2023. Et l’année n’est pas encore finie.
Guide de recommandations
L’Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique des petits animaux (AMVQ) dit aussi ne pas colliger de données sur la variation des frais vétérinaires. Chaque année, l’AMVQ distribue à ses membres un guide qui recommande des tarifs à appliquer pour chaque acte. « Mais dire qu’on connaît la moyenne des frais dans les établissements, ça, on ne l’a pas. Ce n’est pas le genre de suivi qu’on fait », explique Eve-Lyne Bouchard, présidente de l’AMVQ.
Ce guide sur les prix est produit depuis une vingtaine d’années par l’Association canadienne des médecins vétérinaires (ACMV). Les recommandations, « qui sont généralement appliquées dans une fourchette de 80 à 100 % », prennent en compte une série de facteurs visant à assurer la bonne santé financière des cliniques, notamment l’inflation, la hausse des salaires et la variation des prix des médicaments, indique le président de l’ACMV, Trevor Lawson, qui n’a pas voulu transmettre ce guide au Devoir. « Il n’est accessible qu’à nos membres. »
Pénurie et soins spécialisés
Selon le vétérinaire, avant la pandémie, les frais vétérinaires étaient indexés de 2 à 4 % annuellement au pays. « Au cours des deux dernières années, je pense que la plupart des hôpitaux vétérinaires ont augmenté leurs tarifs, probablement de 6 à 8 %, dans un effort pour suivre l’augmentation des coûts. » Le Dr Lawson rappelle d’ailleurs qu’une pénurie de main-d’oeuvre frappe de plein fouet le milieu de la médecine vétérinaire, ce qui crée une pression à la hausse sur les salaires.
« Le coût de la main-d’oeuvre vaut à peu près 50 % du coût des factures dans un hôpital vétérinaire. Donc c’est majeur », estime le Dr Sébastien Kfoury, vétérinaire et président de Vet et nous, une enseigne qui comprend une trentaine d’établissements au Québec. Dans les quatre dernières années, un rattrapage salarial d’environ 30 % a été consenti aux vétérinaires et aux techniciens vétérinaires de Vet et nous (le salaire d’un vétérinaire oscille autour de 100 000 $ à 120 000 $ par année, estime le Dr Kfoury). Pour éponger cette hausse, l’enseigne a procédé à une augmentation moyenne de 10 % des frais facturés aux clients dans la dernière année.
À l’échelle nord-américaine, Trupanion, le plus grand assureur pour animaux au Canada, a noté une hausse des factures d’environ 15 % en 2023. Une poussée vers le haut qui s’explique tant par des frais plus élevés que par les soins plus poussés réclamés par les propriétaires d’animaux, souligne Laura Bainbridge, vice-présidente senior aux communications. « Il y a de nouveaux traitements, de nouvelles chirurgies […], des spécialistes comme des cardiologues, des neurologues, des oncologues, et les parents [propriétaires] d’animaux cherchent à accéder à ces services. »
Selon le Dr Kfoury, les soins sont globalement bien meilleurs et plus sécuritaires qu’avant. Mais cela entraîne un coût plus élevé, notamment en ce qui a trait aux équipements. Il affirme qu’il fait tout pour garder les prix au minimum dans ses cliniques, notamment en réduisant le personnel, en utilisant des moyens technologiques pour effectuer certaines tâches et en offrant des rendez-vous en télémédecine.
Trevor Lawson, de l’ACMV, assure que les vétérinaires sont « très sensibles » à la question du coût des soins. « Nous sommes très conscients de la nécessité de trouver un équilibre entre une pratique durable et un prix qui ne limite pas le nombre de cas qui passent la porte, car nous sommes là pour soigner les animaux », dit-il.
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